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Au-dessus des nuages, le Melkereikopf

Au loin, la ligne bleue des Vosges.

Où ai-je passé la première journée de cette nouvelle décennie ?

Sur les larges sentiers d’un sommet allemand que j’affectionne pour ses vues dégagées qui emportent loin l’imaginaire et abritent mes rêves et mes espoirs : le Melkereikopf.

Ce sommet culmine à plus de 1000 m. d’altitude et offre de beaux panoramas sur la vallée du Rhin et les vallons voisins de la Forêt Noire.

Situé à 1h de route de Strasbourg, c’est un endroit idéal pour se déconnecter du froissement urbain et de la pollution qui stagne souvent dans la plaine d’Alsace.

En ce 1er janvier, une purée de pois, à la grisaille pesante, plombait la ville à peine éveillée des violences de cette nouvelle année. Oui, violence. Un mort humain tué dans son jardin … et je ne parle pas de toutes les vies inquiétées, terrorisées et décédées des autres animaux pour cette tradition déplorable des pétards à lancer lors de ce jour de l’an qui n’est que le choix arbitraire d’une temporalité rythmant le cycle annuel. Une impression de guerre envahit les rues strasbourgeoises à ce moment là et me décourage, à chaque fois, d’avoir foi en mon humanité.

Les trottoirs, au petit matin, étaient jonchés d’immondices.

Nous avons fui cet état sinistré, cette grisaille moribonde, cet univers apocalyptique.

Je sais que là-haut, dans mes montagnes proches, la lumière et la sérénité sont au rendez-vous.

Nous sommes parti-e-s à 6 humains et 4 chiens dans la grisaille de ce lendemain d’excès vers d’autres paysages.

Là-haut, nous avons défait et refait le monde.

Nous nous sommes gorgé-e-s des vues époustouflantes au camaïeu bleu, estampes dessinées par la nature où se perdaient nos espérances. Nous avons rêvé d’un autre monde, plus respectueux. Nous avons aussi contemplé en silence la beauté des vallons se déployant à l’infini. Nous nous sommes repu-e-s de cet air vivifiant où dansaient des éclaboussures de soleil.

« Ma bande » d’activistes prêt-e-s à œuvrer pour un monde plus juste. Tous les individus présent-e-s sur cette photo ne sont pas zoophages, en cohérence avec les actes qu’iels posent.

« Nous rêvons au bonheur universel, nous voulons l’humanité libre et fière, sans entrave, sans castes, sans frontières, sans religions, sans gouvernements, sans institutions.  » Louise Michel

Dans la minéralité des causses

Sur les hauteurs du Causse Méjean.

Pour ces vacances de la Toussaint, j’ai passé six jours dans un décor grandiose de canyons époustouflants et de tempêtes sur les hauteurs minérales des causses.

Gorges de la Jonte.

Trajet 19 oct – de Strasbourg à St-Pierre-des-Tripiers

Nous sommes parties à 7h de Strasbourg, la pluie était dense toute la matinée. Le ciel s’est dégagé à partir de midi. Le trajet est facile car les autoroutes sillonnent tout le parcours et le trafic était fluide.

On est arrivées à 18h, accueillies par nos deux charmants hôtes, par Finette, la chatte des lieux ultra câline et leurs deux petits-enfants, curieux et intimidés.

Finette.

J’ai évidemment tout de suite craqué pour Finette, hyper sociable qui est venue immédiatement réclamer des caresses et me pétrir les cuisses où elle s’est installée.

La dernière heure de trajet est sur des départementales qui traversent les Gorges du Tarn. 20 km en 1 h dans un décor fabuleux de falaises vertigineuses traversées par l’or de forêts somptueuses accrochées aux versants de ces roches.

Gorges du Tarn.

La vue de ma chambre semble sortie d’un conte du XIXè siècle. Tout pourrait être idyllique mais nous sommes au cœur d’un pays d’élevage de brebis laitières à la terre rude et hostile.

Vue de la fenêtre de ma chambre à St-Pierre-des-Tripiers.

Le gîte est une maison typique en lauze qui peut accueillir 5 personnes. Nous avons 2 immenses chambres.

Une courte balade en soirée nous a permis d’apprécier le décor. Nous nous sommes posées sur une colline proche pour regarder tomber la nuit.

Jour 1 -20 oct- Le Rozier

J’ai dormi 12h ! Incroyable ! Je crois que je décompense et que j’avais grandement besoin de cette pause. Gérer les tensions et toujours être à l’écoute finit par être éprouvant surtout que je suis seule dans cette gestion de 11 antennes à l’échelle nationale. Je suis entourée de remarquables personnes qui me comprennent et dont la compassion est immense et heureusement. Les équipes au sein de l’association sont aussi exceptionnelles et bienveillantes et font un formidable boulot d’investissement.  C’est grâce à ces équipes mais aussi aux personnes qui partagent mon quotidien et me soutiennent d’un amour inconditionnel sans oublier ceux et celles qui, de loin, m’envoient leurs pensées positives qui sont autant de petits morceaux d’amour que je tiens, car je dois gérer un nombre incalculable de messages qui exigent explications, critiquent, jugent, condamnent et sont autant intrusifs que maladroits.

D’où l’importance de cette coupure dans un bout de monde.

Ici, aujourd’hui c’est la tempête. La pluie brouille le paysage et les vents soufflent à plus de 80 km/h. Le rythme va être lent, il l’est déjà. Pendant que j’écris Phlau et  Suzy se partagent le canapé, l’une lit, l’autre somnole. Chacune son oreiller.

Vers 15h nous avons bougé, histoire de s’aérer un peu. Nous avons suivi la sinueuse départementale 996 jusqu’au Rozier à 30 mn de la maison. La route longe les gorges de la Jonte où se déploie un panorama grandiose, véritable canyon, avec des falaises à corniches noyées dans une luxuriance boisée aux couleurs de l’automne. J’ai vu mes premiers vautours avec leur vol circulaire de rapaces, au-delà des promontoires calcaires surplombant la vallée encaissée.  Au Rozier, bourg frontière avec l’Aveyron, une impressionnante tempête à noyer le paysage.

Au retour, l’horizon était embrumé, rendant encore plus oniriques ces lieux sauvages. L’eau ruisselait  abondamment sur la route jonchée de gros cailloux détachés des corniches.

Vue de la voiture sur l’église romane du Rozier.

Jour 2 – 21 oct – Au cœur du causse Méjean

Ce matin je me suis réveillée à mon heure habituelle : 7h. Tout était silencieux. J’ai ouvert mes volets et un spectacle de brume et de lumière s’est offert à mes yeux. Je me suis habillée rapidement pour aller savourer sur la colline proche ce spectacle féerique. J’aime quand les nuages s’accrochent au paysage et lui font un habit de brume déchiquetée alors que l’aube vient de s’estomper.

A mon retour, j’ai croisé le berger amenant ses brebis au pré. Elles étaient toutes tondues, les mamelles pleines. Je n’ai vu aucun agneau. Certaines ont été intriguées par ma présence et mon cœur s’est déchiré comme les lambeaux des nuages de cette matinée. Je ne peux pas faire abstraction de leur sort. Je ne peux pas m’extasier sur cette pratique ancestrale qui n’a plus lieu d’être. D’ailleurs les paysages d’ici sont cloisonnés et ont été façonnés par et pour l’élevage. Je suis au cœur d’un paradoxe éprouvant, tant de beauté côtoyant une inutile cruauté.  On peut fuir la réalité, elle nous rattrape toujours. Aucune rudesse, aucune tradition ne justifie une exploitation d’êtres sentients. L’histoire de l’humanité est marquée par une infinité de métiers qui ont disparu face aux évolutions et aux prises de conscience de nos sociétés. Déconstruisons nos archaïsmes pour un monde plus juste.

Aucune rudesse, aucune tradition ne justifie une exploitation d’êtres sentients.

Le petit-déjeuner a été pris rapidement, nous sommes parties explorer le causse Méjean. Il y a une enceinte protohistorique à 1107m d’altitude, ouvrage défensif édifié au VIIIè s. avant JC, à proximité d’un col, d’une draille et d’une source : la Rodo de Drigas. Une position idéale pour ces humains d’autres temps. Le rempart elliptique mesure  150 m sur 115 m, le mur d’origine en pierre sèche était vertical et devait mesurer 4m de haut, doté de 2 portes. Il n’a pas résisté à l’empreinte du temps et à la force des vents. Ce lieu fut habité de 750 avant JC  jusqu’au 2e siècle de notre ère. La vue devait être panoramique à 360° mais nous étions dans un nuage avec le sentiment d’être hors de toute chronologie, peut être même proches d’âmes étranges peuplant ces lieux. La nature vibrait, Suzy était la plus attentive de nous trois et grondait au rythme du frémissement des buissons. D’autres êtres nous observaient, bien cachés, elle les sentait.

Nous avons repris notre sentier de randonnée vers le hameau du Buffre, traversant des forêts de pins noirs d’Autriche habillés de lichens. Les maisons des villages sont en lauses, de leurs fondations à la cheminée du toit où trône une pierre en son sommet. Ici, le bâti reste particulièrement préservé. On dirait des maisons de contes. En fait, l’omniprésence de la roche calcaire a généré dans la culture caussenarde, tout cet art de la construction en pierre sèche.

Nous avons suivi à partir de là le chemin de St Guilhem surnommé aussi le Camin Ferrat qui conduit à l’abbaye de Gellone, à St Guilhem le Désert, centre majeur de dévotion au moyen-âge. Des chemins empierrés d’origine antique sillonnent ainsi les collines érodées par les vents et les humains qui se sont approprié les terres.  A la sortie du hameau se trouve le plus vieux calvaire des causses : la croix du Buffre où les pèlerins se recueillaient.  Son socle cylindrique s’élève sur trois marches (XIIè s.) et représente d’ailleurs deux pèlerins vêtus de tuniques, porteurs de bâtons surmontés de croix. Un senhadou (bénitier) en forme de visage humain contenait l’eau bénite. Aujourd’hui c’est l’eau de pluie qui le remplit.  

Nous avons continué sur le sentier qui traverse la Causse vers le hameau de Hures. Le ciel s’est dégagé pour nous offrir un impressionnant panorama sur les sommets alentours : le Serre du Bon Matin, le travers des Aures et le mont Aigoual. Le paysage est aride, à vif, jonché d’un chaos de pierres blanches, se perd dans l’infini où les nuages s’emmêlent au bleu des massifs lointains. Le causse Méjean est une immense table de calcaire jurassique d’une superficie d’environ 45000 hectares sans eau, sans arbres, ayant une altitude moyenne de plus de 1000 mètres et des couronnes qui atteignent jusqu’à 1278 mètres dans sa partie orientale. Nous nous sommes posées pour contempler cet impressionnant panorama, simple dans sa nudité, aride et beau. Nous avons aussi vu notre premier troupeau de brebis toujours sans agneau dans un champ en contrebas et sans patou.

Au hameau de Hures, nous avons suivi les indications pour trouver l’aven du village. En fait, nous ignorions ce qu’était un aven. Je ne suis pas du tout attirée par la spéléologie et légèrement claustrophobe.  Quelle ne fut pas notre surprise de dénicher un affaissement dans les prés qui donnait sur une faille oblongue d’environ 3-4 mètres béant dans un abîme de la terre.  Dans mes lectures, j’ai découvert que par le passé les bergers y jetaient leurs brebis mortes (voire les humains gênants) et écoutaient en frissonnant le dévalement sans fin des cailloux, que de sinistres légendes accompagnaient ces lieux puisqu’ils renvoient aux entrailles du monde.

Au retour, nous sommes passées à Meyrueis, ville la plus proche des lieux pour faire le plein d’essence. La route sillonne les extraordinaires gorges de la Jonte qui délimitent la partie méridionale du causse. En cette saison, les couleurs de l’automne leur donnent une parure incroyable d’ors et de rouges flamboyants. C’est beau à couper le souffle.

Les villes traversées semblent désœuvrées, elles doivent être plus animées l’été. Les rues désertées et étroites de ces bourgs de creux de vallées donnent un sentiment de mélancolie comme si elles  cherchaient un souffle de vie éteint à jamais. Une certaine tristesse se dégage de leurs façades décrépies.

Jour 3 – 22 oct. Aven Armand

Il pleut, une pluie  légère qui froisse le paysage et conte l’automne. La découverte de l’aven d’hier et des histoires qui l’accompagnent m’ont donné envie d’en (sa)voir davantage. Nous sommes à quelques kilomètres de l’Aven Armand, merveille souterraine, indiqué sur tous les panneaux des routes proches. Il fut découvert en 1897 par 3 spéléologues dont Martel et Armand. Armand était serrurier forgeron au Rozier, il devint le fidèle compagnon d’exploration de Martel qui nomma ainsi cet abyme pour lui rendre l’hommage de la découverte car Louis Armand fut le premier à avoir repéré le maître-trou et le premier à y descendre.

L’endroit est immense (un stade olympique tient dans ce lieu, la cathédrale Notre-Dame peut y entrer) et fantasmagorique. Les gouttes d’eau filtrées par l’épaisseur calcaire de la voûte et chargées de calcite cisèlent depuis des millénaires une irréelle et vénérable forêt bien plus âgée que notre jeune humanité. Draperies magnifiques, méduses de calcaire, dentelle baroque, feuille d’albâtre transparent agglomérées alternent avec des aiguilles et d’immenses stalactites en pendentif qui rejoignent presque les colonnes dressées à terre. La plus élevée atteint 30m et détient le record du monde de hauteur des stalagmites. Trente autres atteignent 25 m. Certaines mesurent 3m de diamètre. Le décor est cyclopéen et merveilleux, la visite d’une heure est trop courte.  J’aurais aimé me poser au cœur de ce monde fabuleux pour m’imprégner de toute la démesure de cette œuvre naturelle.

L’après-midi fut plus lent, la pluie tombait drue par moment, l’orage a même tonné. Nous sommes parties faire le tour des gorges de la Jonte en voiture. La route qui relie St Pierre des Tripiers au Truel est étroite et sinue à flanc de falaises dans un décor monumental. J’en ai fait une partie à pied car je ne me lasse pas de ces fabuleux paysages où s’accrochent le souffle des nuages et où l’automne fait une parure mirifique aux forêts de ces vallées encaissées. La pluie poétise ce décor et lui donne une dimension romantique époustouflante.

Jour 4 – 23 oct – Tempête

L’orage gronde depuis l’aube, les éclairs sillonnaient le mur de ma chambre d’éclaboussures fantomatiques. Le ciel est bas et lourd et a anéanti le causse dans sa grisaille tourmentée. Les éléments semblent déchainés. Je me dis qu’avec la force du vent d’ici ce soir plus aucune feuille dorée ne parera les feuillus de leur manteau d’automne. Toute cette eau ruisselle dans le calcaire de ces collines, immédiatement bue par la roche poreuse. Le paysage est plus dénudé que jamais et le blond des prairies desséchées contraste avec la pesanteur des nuées.

Nous avons tenté une sortie mais la fureur du tonnerre nous a repliées dans notre chaumière de pierre sèche. Une soupe de légumes mitonne sur les plaques en vitrocéramique. Lectures, jeux avec Suzy, tri des photos… la journée sera cosy.

En fond sonore la voix suave de Youn Sun Nah : « uncertain weather »… L’ambiance est posée.

Jour 5 – 24 oct – Sur les corniches du causse de Sauveterre

Hier soir, Pierre nous a rejoint au gîte, visite impromptue qui m’a fait plaisir. Ce matin, nous sommes parti-e-s tous les 4 explorer les hauteurs proches côtoyées par les vautours fauves et autres rapaces.

Nous sommes au cœur des failles qui délimitent les vaisseaux des causses, au bord de ces somptueux précipices faits de promontoires gigantesques et de rivières bouillonnantes. Tout y est infiniment beau et infiniment grand.

Notre randonnée nous a conduit-e-s par une sente pierreuse et escarpée sur la corniche du causse de Sauveterre, au roc des Agudes offrant une vue à 180° sur les gorges du Tarn et de la Jonte. Paysage époustouflant où dansaient les vautours.

Sur le retour, nous sommes passé-e-s par le village abandonné d’Eglazines, accroché aux roches des gorges dans un décor de pierre et de forêts d’épineux et de chênes. Bâti contre le roc, ses maisons sont semi-troglodytiques (elles n’ont bien souvent que 3 murs adossés à la falaise). Bien qu’en ruine on devine les anciennes terrasses tout autour et on imagine la difficulté de la vie en ce lieu. Jusque dans les années 60 une vieille dame a habité ce hameau.

Jour 6 – 25 oct – sur la corniche du causse Noir.

La journée fut bleue et or. Bleu comme la lumière qui a rougi mes joues, or comme le ruissellement de l’automne dans les forêts humides du causse noir.

La randonnée du jour fut encore fantastique entre vieilles pierres délaissées (prieuré de St Jean des Balmes, ermitage St Michel, Ferme résinière abandonnée) et ces panoramas grandioses sur ces gorges dont je ne me lasse pas avec échappées sur le plateau et les corniches du causse Méjean, rochers ruiniformes en aplomb au-dessus de la Jonte et réserve naturelle du cirque de Madasse, écrin boisé de pins, de chênes et de hêtres où chantent les fées.

La première étape est le prieuré de St Jean des Balmes, ruine de style roman. L’endroit fut peuplé depuis des millénaires car c’est un croisement de voies de communication, notamment la route de Meyrueis à Millau et le chemin de l’Auvergne au Languedoc qui passait par Peyreleau. Des légendes circulent autour de ces ruines. L’église fût bâtie sur un ancien temple gaulois voué au dieu Soleil et il y a sous ses murs deux tunnels antiques, dont les directions indiquent les quatre points cardinaux. Malgré son altitude – 960 m – l’endroit est habitable, comportant plusieurs sources, des terres exploitables et des bois ce qui est une véritable richesse dans ces contrées dénudées. L’église est mentionnée dès le XIè s. C’est au XVIIè s. qu’elle sera désaffectée et se délabra peu à peu dans le contexte des guerres de religion.

Le sentier que nous suivons ensuite nous amène à la réserve biologique intégrale du cirque de Madasse aux portes duquel se tient l’ermitage St Michel, autre ruine occupant quatre pitons dominant les gorges de la Jonte. Il s’agit de l’ancienne forteresse de Montorsier des XIè et XIIè s. L’accès s’effectue par des échelles en métal fixées dans la roche. La vue depuis les terrasses est à couper le souffle. 

Toute la suite de la randonnée se fait sur la corniche, le plus souvent en sous-bois, le chemin est étroit, les feuilles mortes le rendent glissant et il est entrecoupé de racines. Il s’ouvre régulièrement sur des vues époustouflantes : l’ermitage, les Vases de Chine et de Sèvres deux imposants monolithes surplombant le paysage, le rocher de Capluc et le village de Peyreleau avec le confluent de la Jonte et du Tarn.  

La remontée sur la ligne de crête aboutit au Champignon préhistorique,  rocher ruiniforme imposant. Les sentiers se font chemins forestiers et traversent les très belles forêts moussues des hauteurs. Nos pas nous mènent vers le dernier rocher-point de vue, le Point Sublime, le bien nommé où j’ai encore pu observer le vol des vautours fauves dans le bleu frontal de cette journée lumineuse.

 
CAUSSE
 
Le plateau sans limite étale son désert,
Sa grisaille de plomb sans voix, sans feu, sans onde:
Il semble que l’on ait atteint au bout du monde
La région maudite aux portes des enfers.
 
 
L’implacable soleil brûle et luit sans ombrage,
Où pourrait-on trouver la source qui sourit,
La branche qui chuchote et balance son nid,
La rose dont la grâce émeut le paysage…
 
 
Rares troupeaux broutant les cailloux gris du sol,
Buis et genévriers, chardons plats, herbe rase,
Chaque être et chaque fleur sous le vent qui l’écrase
Courbe son morne front et rampe sans envol.
 
 
Je l’aime cependant ton visage farouche
Sous ton ciel inclément, Causse déshérité,
Pour le silence amer et l’air de liberté
Que l’on peut respirer là-haut à pleine bouche.

Jeanne Foulquier

La sentience (du latin sentio, sentis « percevoir par les sens ») désigne la capacité d’éprouver des choses subjectivement, d’avoir des expériences vécues ce qui implique respect et sollicitude.

	

Le Schurmsee, mon précieux.

Dans mon circuit d’eau de cet été, je continue mes explorations des lacs glaciaires du Nord de la Forêt Noire.

Cette fois ci c’est au Schurmsee que je vous emmène. En raison de son emplacement isolé il est l’un des lacs les moins visités de ces vallons boisés.  Je l’avais repéré sur mes cartes topographiques, petite tache bleue isolées au cœur du vert des forêts.

J’ai testé un circuit qui nous a amené à faire plus de 1000 m de dénivelé et 18 km. Nous avons traversé des chemins oubliés, envahis de fougères, de mousses humides et de rochers au chaos apocalyptique. Sente escarpée à flanc de falaise, obturée par des troncs gigantesques de sapins tombés là, vestiges de l’hiver qui fut rigoureux et dévastateurs pour les résineux.

Je vous ai redessiné un tracé plus faisable, moins dangereux et légèrement plus court (15 km).

La randonnée part du village d’Hundsbach, il faut prendre un chemin qui descend entre les maisons et qui est indiqué comme étant « privé » car il est interdit à la circulation des voitures. Ce chemin conduit par une forte pente à un pont au-dessus de la rivière qui coule au pied du village. A partir de là on emprunte de larges sentiers qui se font sentes au fur et à mesure de la montée, bordés d’une magnifique forêt de résineux, fougères, mousses et bruyères en fleurs parfumant notre chemin qui nous conduit au Schurmseehöhe sur 4 km.

C’est le point de vue sur le lac à 960 m d’altitude, un banc invite à une première pose contemplative.

La beauté farouche de ces cirques m’émeut toujours. Le temps semble se suspendre là, dans une éternité improbable où s’efface tout ce qui me pèse. Marcher m’allège. C’est comme si je me délestais de tout ce qui entrave mes pensées. La nature à cet effet puissant sur moi d’apaiser toutes mes colères et de me rendre juste contemplative et émerveillée par ce qui palpite autour de moi et en moi.

La descente vers le lac fut épique et dangereuse car le chemin n’a pas été déblayé depuis cet hiver, est entravé et délaissé (j’ai donc modifié le tracé).

Il est possible de faire le tour du lac, situé à 794 mètres d’altitude, ses abords proches sont inaccessibles afin de préserver le biotope, protégé par une barrière de bois. Ce lac s’est formé à la fin de la dernière période glaciaire, il y a environ 100 000 ans. C’est un des plus profonds lacs glaciaires de la Forêt Noire (13 m de profondeur). Un tiers du lac est déjà ensablé. A long terme, il sera complètement envasé. Sa couleur sombre et dorée, comme toutes les eaux de la Forêt Noire que je traverse, est due aux substances humiques. Cette couleur fuligineuse me fascine, baignée par le soleil, elle prend des reflets or miroitant dans les éclaboussures de lumière qui la rendent précieuse et incomparable.

Je pourrais rester des heures dans ces creux de nature. Juste posée là à écouter ces vibrations infimes qui résonnent dans chaque cellule de mon corps.

La forêt autour du lac est luxuriante et nuancée d’un camaïeu vert, témoin de la richesse de son écosystème.

Le retour se fait par de larges sentiers qui offrent de belles vues sur les collines avoisinantes.

Nous avons fait une dernière pause sur le chemin du retour, au pied du village, là où chante la rivière sur les rochers moussus, des bancs nous ont invité-e-s au repos.

« Nul ne peut, sans se dépasser, apprendre de lui-même qui il est. Ce qu’on croit en penser n’a aucune importance : il faut y aller voir, y aller, se risquer, jusqu’à ce que le mystère passe de notre côté. » Armel Guerne (1911-1980)

Mitteltal, le village aux milles sources

Je vous invite à parcourir un circuit empreint de poésie où les larges chemins empierrés parsemés de framboisiers sauvages et de myrtilles (nous nous sommes régalées) alternent avec des sentes à flanc de coteaux tapissées de racines qui font de noueux escaliers pour monter vers les sommets aux vues panoramiques. Les chemins traversent des forêts où les mousses et les fougères forment de généreux tapis verts. L’eau ruisselle partout sous diverses expressions et rafraîchit les jours d’été caniculaires.

Vue sur Mitteltal.

Ce circuit débute à Mitteltal souvent désignée, en raison de ses nombreuses eaux, comme village de sources.

Le circuit de cette randonnée de 16 km est téléchargeable.

Circuit de la randonnée.

Les premiers kilomètres se font le long d’une rivière, la Boserellbach et sont parsemés de fontaines et de chalets où s’abreuver et se poser.  Cette surprenante rivière a été aménagée en escalier par l’humain, ce qui lui fait des paliers chantants et parfois elle se transforme en cascade joyeuse, dévalant gaillardement ces marches empierrées surprenantes.

Vers le 5è km, un pont en bois la traverse et nous conduit vers les hauteurs ravagées en 1999 par l’ouragan Lothar en passant devant la Sauerbrunnen (qui signifie puits acide). La pierre où s’écoule l’eau a pris une surprenante couleur or car c’est une source de soufre.

La Sauerbrunnen

Le décor de cette montée est impressionnant. La jeune végétation y est vigoureuse et dense.

Vue en arrivant en haut de la montée.

On arrive très vite au sommet, le chemin s’élargit, deux, trois bancs sur ce parcours invitent à la contemplation des collines boisées enchanteresses qui se déploient sous nos yeux. On reste sur ce sentier de crête un bon kilomètre avant de reprendre la descente toujours par de larges pistes caillouteuses. Sur les panneaux, on suit la direction de Mitteltal, 7,5 km.

Après le 8è kilomètre, on pénètre à nouveau dans la forêt magique. Au détour d’un virage, les Rosshimmel Wasserfall nous surprennent. Cascade toute en hauteur, grandiose, au cœur de toute cette verdure.

Rosshimmel Wasserfall

Le chemin se poursuit tranquillement vers l’Ellbachsee, lac glacière située dans une réserve naturelle régie par la législation européenne sur la protection de la nature, Natura 2000.

Ce lac, niché dans un cirque boisé, est en phase d’envasement, des îles de tourbe y flottent. Il est peu profond, ses eaux noires content à l’imaginaire de fabuleuses histoires habitées par les sorcières qui peuplent ces espaces. La Forêt Noire la bien nommée.

L’Ellbachsee.

La randonnée se poursuit à travers le Gutellbachtal vers Mitteltal. Près du 11è kilomètre, il faut être attenti-ve-f, soit on passe à gauche d’un ru et on continue sur un chemin « facile », soit on traverse ce ru et on prend un tout petit sentier nommé « Abenteuerpfad » sur la carte, quasi caché mais indiqué par un losange blanc cerclé de bleu et vert. Cette sente s’enfonce dans les résineux, traverse des bosquets de myrtilles, des eaux ruisselantes, des forêts impressionnantes de fougères, serpente dans la montagne, chemin sans doute emprunté par quelques êtres d’un monde fantasque mais visiblement par peu d’humains.

Quand la sente rejoint l’allée plus large, en bas, un panneau indique qu’il s’agit d’un « Chemin d’aventure », il met en garde que ce chemin doit être « emprunté par des randonneurs et randonneuses expérimentées et bien équipées ». Et bien, nous sommes ravies de l’apprendre après la traversée. C’est sans doute mieux ainsi, notre pas est resté sûr et confiant alors que si j’avais découvert ce panneau au départ, j’aurais été plus craintive.

Chemin d’aventure – ce chemin doit être emprunté par des randonneurs et randonneuses expérimentées et bien équipées  !

Après le 12e km, il faut être attenti-ve-f pour prendre un autre petit sentier sur la gauche qui traverse une zone moussue, tapissée de fougères et peuplée de résineux qui conduit à un campement dans une large clairière où nous trouvons des bancs installés autour d’un foyer, une boite étanche contenant un carnet noir où laisser une trace. Nous nous posons. Il s’agit du trekking camp de Gutellbach.

Les derniers kilomètres se font le long d’une autre rivière, la Guter Ellbach, au cheminement tout aussi bucolique. Les framboisiers sauvages y foisonnent. L’eau continue de ruisseler de partout. Le village porte bien son surnom.

Ego portrait à la fenêtre.

« A l’échelle cosmique, l’eau est plus rare que l’or. » 
Hubert Reeves

Sur les rives des lacs glaciaires : le Huzenbachersee

Cet été pas de voyage prévu. En fait, l’été est le moment où je peux profiter du jardin, flâner, paresser et être totalement libre de mes désirs dans un lieu que j’aime et qui m’est familier : ma maison.

Huzenbach, du haut du village…contempler.

Les derniers mois ont été très laborieux et harassants, le militantisme me prend beaucoup de temps et d’énergie et mon enquête dans une pisciculture locale alsacienne m’a très fortement éprouvée. Je navigue entre la colère et la tristesse. Me résigner est impossible. Alors j’ai besoin de m’évader et j’ai la chance de vivre à côté de montagnes légendaires où je peux y perdre mes pas et me retrouver entière au cœur d’une nature dont chaque vibration fait écho aux palpitations de mes pensées.

Pour choisir mes destinations, je pars de mes cartes topographiques que j’étale sur la table de mon salon et je peux passer des heures à les parcourir, me projetant avec bonheur dans les courbes de relief, les tracés et les noms qui sont déjà mon début d’aventure. Par ces éprouvantes chaleurs, mes choix sont guidés par la présence soit d’un lac, soit d’une cascade. Rester en zone urbaine est étouffant et il y a toujours plus d’air et de fraîcheur sur les sentiers boisés de la Forêt Noire ou des Vosges, bien que j’aie une tendresse très particulière pour la première.

Aujourd’hui je vous emmène à la découverte d’un un petit lac glaciaire à 747 m d’altitude, niché dans un cirque verdoyant, formé il y a environ 25 000 à 30 000 ans : le Huzenbachersee. Il est au cœur de la forêt, à quelques kilomètres du joli village de montagne qui porte le même nom : Huzenbach, rattaché à la municipalité de Baiersbronn. Beaucoup de légendes lui sont liées.

C’est un tour circulaire de 11 km et un peu plus de 600 m de dénivelé. Les sentiers empruntés sont larges, faciles et enrésinés.

Tracé de la randonnée

La pluie a même été présente un moment, un cadeau par ces températures caniculaires. Je ne l’attendais pas. J’étais en sandales (oui je randonne parfois en sandales car je n’aime pas me sentir emprisonnée dans le carcan des chaussettes + chaussures). D’ailleurs je n’ai pas de chaussures de randonnée. C’est soit sandales, soit mes baskets légères que j’utilise aussi pour courir.

La seule difficulté de cette marche est la descente vers le lac. C’est aussi le moment le plus beau et le plus féerique. La sente est étroite, raide et sinueuse, elle sillonne le flanc de montagne avec quelques troncs d’arbres en obstacles et beaucoup de racines noueuses et de fougères luxuriantes. Une petite cascade, malheureusement à sec quand nous y étions, la traverse, au bout de ce chemin, le lac à la surprenante géométrie.

Une île circulaire s’y trouve, pelouse flottante constituée d’un réseau dense de racines, de mousses et de jeunes bouleaux. Le tarn est habité par une myriade de nénuphars jaunes dont les fleurs sont becquetées par les canards.

On s’est posé là et on a déjeuné.

La végétation autour du lac est surprenante. En 2012, une tempête a détruit près de la moitié de la population d’arbres. On a le sentiment d’une fin de monde, d’un chaos apocalyptique déjà englouti par une nature puissante qui reprend ses marques. Les troncs brisés, écorchés, blanchis font des fantômes immobiles qui témoignent de leur grandiose vie passée.

Le retour se fait en traversant cette lande renaissante, puis le long d’un ruisseau, le Seebach, bienvenu pour rafraîchir Suzy qui nous accompagne. Les résineux reprennent très vite la prééminence dans la forêt.

5 jours au bout d’un monde – La pointe de la Hague

Lundi 15 avril – jour 1

Omaha Beach

Ce fut une longue journée de voyage pour traverser le nord de la France. Le ciel était bleu, sans faille, un ciel éclatant de printemps. Nous sommes parties à 5h, la nuit était encore bien encrée.  Arrivées presque au but, nous n’avons pas pu nous empêcher de faire une courte pause sur les plages du débarquement, histoire de voir le sable et la mer avant la fin du voyage comme nous devions traverser le Cotentin.

Premiers pas sur le sable de Suzy…

Mardi 16 avril – jour 2

Face à l’Atlantique (puisque la Manche est une mer épicontinentale).

Juste devant la maison.

La Côte des Isles, dans la Manche, je la connais pour l’avoir découverte dans mon autre vie. Elle porte son nom car elle fait face aux îles anglo-normandes situées à une quarantaine de km au large (dont Jersey et Guernesey sont les plus célèbres).

La plage « de la maison ». Barneville.
Vue depuis le cap de Carteret sur Barneville.

Il y a des lieux qui m’ont imprégnée et dont la trace est enracinée dans ma mémoire, nimbée de douceur et source d’apaisement.  Je n’aime pas particulièrement les paysages maritimes que je trouve souvent trop fades. Je m’en lasse vite. Contempler la mer ne m’émeut pas plus que cela.  Cette monotonie n’a pas d’effet lénifiant sur mon énergie. Mais, ici, ces longues plages de sable fin désertées en cette saison, abritées des houles de l’Atlantique par les îles proches et réchauffées par le Gulf Stream, ces cordons dunaires et ces vents d’Ouest dominants, ces paysages de vasières et prés salés, et ces roches égayées d’une myriade de fleurs printanières m’apaisent et me ressourcent. Outre le fait qu’elles soient délaissées par les foules ce qui contribue énormément à leur attrait. Le printemps est la saison idéale pour parcourir ce bout de monde.

L’appartement où nous logeons à Barneville est au bord de l’océan, lumineux, calme et a même un petit jardin où savourer les embruns marins dans la quiétude du jour. Ma chambre est à l’étage avec une immense baie qui donne sur les marées et la plage de sable blond. Cela fait bien longtemps que je n’ai plus dormi seule et j’ai pu ainsi apprécier cet immense lit aux draps blancs (impossible les draps blancs quand on partage son quotidien avec d’autres animaux). J’ai un sentiment de luxe et d’une grande sérénité loin des chaos du monde.

Je suis comme dans une bulle intemporelle. Le temps s’est figé dans l’instant. Juste savourer.

Emma, trop énergivore est restée avec Jesper à la maison où il la bichonne ainsi que Colette qui ne peut pas cotoyer le sable avec ses yeux opérés. Suzy a décidé de dormir pour sa première nuit au rez-de-chaussée avec Phlau. Ce matin, elle est venue se poser à mes côtés pour contempler l’océan tandis que j’écris mon journal de voyage.

Le souffle du monde est quand même venu jusqu’à nous pour raconter Notre-Dame en flammes. Triste et déplorable incendie, cependant cela reste de la pierre, construite en de sombres temps où des humains ont été exploités et ont donné leur vie pour ce gigantisme orgueilleux et présomptueux d’une époque où le christianisme s’imposait comme culture dominante. Oui, c’est notre patrimoine, oui cela a ouvert la voie à l’évolution architecturale mais tout est impermanence. Il n’y a aucune mort d’humains à déplorer. Les oisillons nichés dans ses creux auront péri mais cela importe peu notre humanité accrochée à ses fantasmes et ses émotions …à ses traditions. C’est incroyable ce que cela cristallise. En fait cela me fascine et me fait douter de notre potentiel à poser des actes pour avancer. S’accrocher aux vestiges semble plus rassurant. Le vide à combler est angoissant, pourtant il est riche de tous les possibles.

Pas d’inquiétude, des dons en centaines de millions d’€ arrivent déjà et elle sera reconstruite, j’espère sans sa forêt ! Parce qu’abattre encore des écosystèmes au nom d’un dieu…

Mais plus important dans mes échelles de valeur, cette nuit huit individus ont été sauvés de la mort à  Girona en Espagne.

Mercredi 17 avril – Jour 3

Eglise en ruine, dunes d’Hattainville.

Hier, nous avons passé notre après-midi dans les dunes d’Hattainville, site naturel classé de 400 hectares considéré comme un massif de « dunes perchées » qui culmine jusqu’à 80 m d’altitude sur plusieurs kilomètres de profondeurs. Autrefois mobiles, les dunes ont été stabilisées par l’édification de clôtures en bois et la plantation massive d’oyats, plante vivace au système racinaire très profond. Elles suivent cependant le mouvement des vents qui les caressent et les modèlent.

Sémaphore de Carteret.
Confidences dans les dunes.

Très belle randonnée avec pas mal de petites montées et descentes notamment dans le sable ce qui en a fait une balade assez physique de 13 km. Nous sommes parties des falaises de Barneville en empruntant le sentier des douaniers balisé GR223.

L’or des ajoncs.

Cette saison est parfaite, avec la douceur qui règne, les roches et dunes sont égayées de myriades de fleurs colorées, des mousses et lichens déclinées dans toute la gamme des verts et des ors, c’est aussi la pleine saison de la floraison des ajoncs, leur jaune ruisselle sur les falaises rejoignant les éclaboussures de soleil sur les pierres grises.  Il y a très peu d’humains, les plages sont vides et les sentiers désertés. Tout semble angélique, doux, délicat, nonchalant et facile. Une parenthèse inscrite dans une époque qui semble révolue.


La plage de la Potinière, à Carteret, on trouve aussi de jolies cabines de bain, blanches et bleues.

Et sur ces falaises nous avons rencontré deux chèvres. C’est là que je me dis « heureusement que je n’ai pas pris Emma ! ». Ce sont des chèvres libres qui arpentent le chemin des douaniers. Elles permettent l’entretien nécessaire de la lande et sont, à ce titre, protégées par le Conservatoire du Littoral. Elles y vivent depuis une vingtaine d’années. Traditionnellement, chaque ferme avait quelques chèvres  afin de nettoyer landes et haies. L’usage se perdant avec la mécanisation, ces chèvres ont été laissées à la vie libre. Les dunes sont truffées de terriers et nous y avons croisé plein de lapins de garenne. A la frange des dunes, il y a d’ailleurs des panneaux où est écrit « limite lapin » à la main. Je me demande à qui sont destinés ces panneaux. Avec toute cette vie dense autour de nous, autre qu’humaine, cela fait longtemps que nous aurions perdu Emma. De plus, là, nous avons tout le loisir de l’observer.

Chèvre libre

Le temps reste agréable, les cieux sont magnifiques et les vents d’Ouest portent les nuages et  offrent des lumières changeantes et toutes plus magnifiques les unes que les autres. J’ai parfois le sentiment d’être posée dans une œuvre picturale.

Le soir, nous n’avons qu’à nous poser sur le banc dans les dunes, face à notre logement, pour contempler la course lente du soleil descendre dans l’océan et enflammer une dernière fois le cap de Carteret.

jeudi 18 avril 2019 jour 4

Anse de Sciotot
Anse de Sciotot

Hier, les températures furent printanières et le soleil a accompagné nos pas sur les falaises du cap de Flamanville. Nous nous sommes posées sur l’immense et magnifique plage de 4km, protégée des vents dominants,  de l’anse de Sciotot, avons couru sur les franges des vagues quand elles viennent s’échouer sur le sable. Suzy a nagé dans les piscines naturelles des rochers où l’eau était d’une incroyable transparence.  Ici, l’intemporalité règne. Pas de fronts de mer, pas de boutiques à touristes, pas de bars qui dénaturent le paysage. Il y a une douceur dans l’air qui lénifie le mental. Tout y est bucolique et serein. Ici on pourrait presque croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Anse de Sciotot

Au retour nous sommes passées par le bocage et par une jolie zone boisée, le sentier chemine le long d’un ruisseau, le Rond Marais, traverse un étang et nous ramène à notre point de départ au château de Flamanville, imposante bâtisse du XVIIè s.

Château de Flamanville

Ce matin, j’ai ramassé quelques galets sur la plage juste en face de notre lieu de vie. Il n’y avait personne pourtant ce n’était pas aux aurores. Suzy s’est éclatée en jouant avec les algues. La marée était haute.  Le temps ne semble avoir aucune prise sur le rythme de l’océan. Il est binaire et lent. Il est calé sur le rythme des vagues et cette frange bleue de l’horizon qui occupe tout l’espace.

Suzy jouant sur la plage, le matin.

Vendredi 19 avril jour 5

Hier nous sommes parties vers la pointe de la Hague pour un circuit au pays de Millet (vous savez ce peintre réaliste, pastelliste spécialiste des scènes champêtres et paysannes du XIXè s) au départ du Port Coquignolet du Hâble à Omonville-la-Rogue. L’ambiance était étrange, vaporeuse avec un ciel voilé et par intermittence des vents froids qui m’ont fait regretté ma veste plus épaisse laissée à l’appartement.

Le circuit passait dans les bocages des collines qui surplombent ce bout de terre, par des chemins serpentant entre les murets de pierres blanches typiques de cette région, tous habillés d’une végétation luxuriante, d’arbres enracinées dans ces pierres et qui en scellent la structure.  Avec l’ambiance légèrement brumeuse, cela donnait l’impression d’avancer dans un conte, les branches tortueuses des immenses arbres nous ouvrant la voie, des ruisseaux chantant traversés de petits ponts de pierre rythmaient nos pas. On a fini ce circuit par le GR 223, ce sentier des douaniers quasi aérien, serpentant entre falaises déchiquetées par les marées, baies et landes jonchées de fougères et bruyères  séchées ou d’ajoncs  à l’or éclatant. Les cormorans huppés, fulmars et goélands argentés volant au dessus des îlets du Hablet en quête d’un éventuel repas, des ruines de masures posées comme des squelettes empierrés gardiennes de ces lieux accaparés par les vents et les eaux, rudes et puissants. Il faut dire que ces roches sont parmi les plus anciennes d’Europe. Elles ont plus de deux milliards et quelques millions d’années.

Après cette marche, nous sommes encore passées par le cap de la Hague jusqu’au phare de Goury, vaillant gardien de cette pointe du monde depuis 1837, signalant le raz Blanchard, l’un des courants les plus forts d’Europe ainsi que le passage de la déroute entre le cap de la Hague et l’île d’Aurigny.

Le phare de Goury au cap de la Hague
Le Nez de Jobourg, parmi les falaises les plus hautes d’Europe.
Le Nez de Jobourg

Aujourd’hui, nous avons arpenté le GR 223 autour du Nez de Jobourg, imposant promontoire rocheux  dont les falaises culminent à 128 m. (parmi les plus hautes d’Europe), situé à l’extrémité méridionale du cap de la Hague.

L’humain a un étrange concept de la liberté… Avec des barbelés. Réfléchissons aux mots que nous galvaudons. Une prison peut être à l’air libre mais reste une prison à partir du moment où l’espace est cloisonné et l’individu contraint de s’y tenir pour être exploité. Cela ne s’appelle pas « liberté ».

Le soleil inondait le paysage et ce soir je sens sa brûlure sur mes épaules et mes joues. Cette randonnée fut impressionnante de par les vertigineux précipices au détour de chaque courbe du sentier parcouru mais aussi par les eaux turquoise de la Manche inondées de lumière. Nous avons aussi traversé des hameaux plein de charme éparpillés dans le bocage voisinant les côtes. La randonnée s’est achevée par une dernière pause sur une des plus jolies plages du coin, celle de la baie d’Ecalgrain. C’est une plage de sable et de galets encadrée par un paysage verdoyant où s’entremêlent landes, bruyères et ajoncs.

En fait, depuis le Nez de Jobourg en remontant vers le nordague, les falaises abruptes s’adoucissent pour laisser place au platier rocheux du cap de la Hague. Le paysage est à chaque fois renouvelé et infiniment puissant et grandiose. Il me rappelle les côtes irlandaises.

En repartant vers notre station balnéaire de Barneville, nous avons fait une courte pause au cimetière d’Omonville la Petite pour saluer Prévert.

J’écris ces mots de ma chambre idéale avec vue sur le bleu de la mer, l’eau scintillant des milliards d’éclaboussures solaires…l’illusion d’un paradis sur terre le temps de quelques jours.

Rochers de légendes aux portes du Walhalla

Rochers de légendes aux portes du Walhalla

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Dans l’exploration hebdomadaire de mes sentiers proches, je suis partie à la découverte des rochers des Vosges moyennes, entre Saverne et Sélestat.  Ces  lieux furent jadis peuplés de personnages étranges et légendaires. Des dieux, des guerriers, des elfes, des lutins ou des géants qui, au cours des siècles, se sont pour la plupart transformés en rochers porteurs de mythes nourrissant la part fantasque de notre humanité.

Sur les hauteurs d’un des 3 châteaux du site d’Ochsenstein.

Il y a plus d’un an j’avais découvert les majestueuses ruines du château d’Ochstenstein bâti sur 3 éperons de grès, dans la forêt domaniale de Saverne. C’est l’un de mes châteaux préférés en Alsace. Ce sont des ruines qui invitent à l’escapade de l’imaginaire et me projettent immédiatement dans les contrées des contes de fées de mon enfance. C’était par un jour d’avril gris que j’avais exploré pour la première fois ces lieux. L’été, l’ambiance change et la nature luxuriante fait un écrin foisonnant à ces pierres délaissées.

La maison forestière du Schaeferplatz.

Le départ de cette randonnée d’une bonne quinzaine de kilomètres et de plus de 500 m. de dénivelé se fait à partir du parking de la maison forestière de Schaeferplatz.

Circuit de la randonnée

A partir de là, il faut emprunter le balisage rectangle rouge/blanc/rouge qui conduit rapidement  par une montée ardue au premier rocher du parcours : celui du Hibou, piton de grès isolé dans la forêt.

Le rocher du Hibou.

Le chemin continue pour nous mener au rocher voisin du Hirschberg -montagne des cerfs, alt 555m- ( où trône le siège de Wotan ou Odin , dieu du Walhalla). C’est de ce lieu qui surplombe les collines boisées qu’ Odin observe les 9 mondes de la cosmologie nordique.

Tout au loin, le rocher du Dabo.

En montant vers le Hirschberg…

Vue sur le Krappenfels.

Le généreux panorama qui s’y déploie offre une vue vers le rocher du Dabo et le Krappenfels que nous explorerons plus tard dans la journée. Nous revenons sur nos pas pour retrouver le sentier au même balisage qui s’enfonce en descente dans les sous-bois (direction Lothringer Bächel) . 

Assez vite nous rejoignons un premier carrefour, celui du Billebaum.  

Au pied du reste du hêtre foudroyé, un cœur noir.

Un hêtre remarquable, d’une circonférence de 615 cm et âgé de 350 ans environ,  s’y trouvait mais il  fût victime d’une tempête le 25 mars 1989. Il n’en reste que les bases de son tronc édifié en mausolée.

Qui connait encore le mot transistor ?

 

Le chemin continue en suivant la direction de la maison forestière du Haberacker, traversant un paysage aux verts tendres et à la végétation luxuriante. 

A partir du parking de cette maison forestière, suivre le rectangle bleu (direction Geissfels) qui conduit, par une nouvelle montée assez vigoureuse à travers des sapins, à une immense clairière où le rocher de la Spill sera indiqué.

Le raide chemin menant vers la Spill et le Geissfels.

Voilà notre deuxième rocher de légende, monolithe haut de 9 m, qui représente pour certain-e-s le fuseau de Dame Berchta pétrifié.

Un visage menaçant se découpe dans le rocher.

La Spill

Sa légende est racontée sur le site de Randoalsacevosges : Dans la mythologie germanique, puis dans la tradition alsacienne, le travail du rouet devait être interrompu entre Noël et le jour des Rois. Cette période de l’année est aussi appelée Raunächte  (nuits de l’effroi). Jusqu’au 23 décembre, les jours raccourcissent, car le soleil, fasciné par la roue des fileuses se laissait entraîner dans l’obscurité par cette roue qui tourne. Les fileuses devaient donc arrêter leur travail, pour donner au soleil le signal d’inverser sa course, sinon toute la création était condamnée. Le diable, dont le but est de détruire toute chose, était à l’affût. Il apporta donc des fils d’argent à Dame Berchta, qui ne pouvant résister, se laissa prendre au piège. Elle commença immédiatement à filer, oubliant qu’on était le 23 décembre. Dame Berchta filait et le rouet tournait et tournait. Le Créateur voyant son oeuvre menacée, déclencha un terrible orage, la foudre détruisit la maison de la fileuse. Seul subsista son rouet sous la forme d’un fuseau, la Spill. Durant ces fameuses Raunächte, si vous collez votre oreille contre le rocher; vous entendrez travailler Dame Berchta.

D’immenses pylônes balafrent le paysage près du Geissfels.

Il faut revenir sur ses pas pour continuer le circuit vers le Geissfels (rocher de la chèvre), autre lieu de légende…

On raconte que le Geissfels est une des portes qui mène vers le Walhalla.  En dessous du rocher qui surplombe le paysage se trouve une grotte où se réunissaient les guerriers défunts en attendant que leur âme rejoigne le Walhalla. Pour leur donner l’énergie nécessaire à leur passage, une chèvre, debout au dessus d’une fissure donnant sur la grotte, leur donnait le lait nutritif de l’immortalité. Le Walhalla n’est autre que le paradis des guerriers méritants. (cf : Rémy Clodong « De Wangenbourg à Urmatt – Circuits dans les Vosges »). La vue y est superbe et donne sur le rocher du Dabo dont on s’est rapproché.

La randonnée se poursuit en empruntant toujours le balisage rectangle bleu qui descend à flan de montagne et contourne par le dessous le Geissfels.

A un carrefour plus bas, il faut continuer par le rectangle rouge GR53 (sur la droite) qui nous ramène à la maison forestière du Haberacker.

C’est là qu’il faut reprendre le rectangle bleu qui va traverser tous les rochers suivants et nous conduire vers les magnifiques ruines de l’Ochstenstein où s’emmêlent promontoires rocheux et vestiges médiévaux.

 

Quelques marches nous mènent sur le plateau du Schlossberg.

Les fougères souffrent des températures caniculaires de l’été.

La ligne de crête traversée offre un admirable panorama sur la plaine d’Alsace à l’Est et les reliefs boisés de la Lorraine à l’Ouest.

La plaine d’Alsace

A un endroit, au pied d’un arbre se trouvent, Hugin (esprit) et Munin (mémoire), les 2 corbeaux d’Odin transformés également en rochers. Dans la mythologie nordiques, ces 2 messagers parcouraient le monde de l’aube au crépuscule. Le soir tombant, ils rentraient murmurer à l’oreille de leur maître ce qu’ils avaient vu et entendu durant la journée.

Nous entamons ensuite une nouvelle descente dans la forêt assombrie par les sapins qui va nous mener au col du Krappenfells et à l’imposant éperon de conglomérat du même nom qui est la sentinelle gardant l’accès au Wuestenberg, visible depuis le Schlossberg. 

Là nous entrons dans un autre pan de l’intemporalité et partons sur les chemins de la préhistoire. La vue qui s’y déploie est à couper le souffle.  J’ai envie de me poser là, de ne plus repartir, de savourer ces panoramas qui commencent à être nimbés de la lumière particulière de la fin d’après-midi, celle qui ressemble à une caresse sur les verts de la forêt.

 

Un arbre foudroyé.

Le plateau du Wuestenberg était un refuge préhistorique dont subsistent encore des vestiges de murailles aux endroits non protégés par la ceinture naturelle des rochers.  Aujourd’hui, on appelle ces murailles, le « mur païen », comme à peu près toutes les constructions datant d’avant la naissance du Christ.  Les restes de ce mur païen (environ 1m de haut sur 1,5 m d’épaisseur) coupe le plateau dans le sens Est-Ouest. Des tuiles gallo-romaines et des fragments de meules datant de la tène (2ème âge de fer allant de -400 à -58 ) ont été découvert-e-s au XIXè s. Une grande partie, de ce mur païen en pierres sèches, sera transportée vers le Schlossberg et réutilisée pour la construction du château d’Ochsenstein.

Le mur païen

Le mur païen

Pierre des druides

Vestiges d’un habitat très ancien.

La forêt habitée.

D’autres vestiges marquent cet endroit : une énigmatique Pierre des Druides, un soubassement d’habitat… Des meules dormantes sont également disséminées sur le plateau du Wuestenberg, preuve que les humain-e-s occupaient cette montagne de façon durable. Une puissante force tellurique habite cet endroit.

Cairn

Dans l’enthousiasme de nos découvertes nous avons manqué le sentier de descente et nous nous sommes un peu égarées dans les bois de feuillus alentours♥.

On a finalement retrouvé le rectangle bleu empruntant une sente qui plonge à travers la forêt sombre,  à un moment il y a un croisement de chemins et il faut suivre la direction « maisonnette de pierres », qui bifurque sur la gauche et qui nous mène à la fontaine HaemmerlinJ’ai entendu de loin chanter son mince filet d’eau. Par ces fortes chaleurs estivales, nous y avons trempé nos bras, lavé nos mains et notre visage et sa fraîcheur fut revigorante.

La fontaine Haemmerlin

La descente se poursuit et conduit à un petit pont de bois qu’il faut traverser au dessus du ruisseau Langenthalbach.

A partir de là il faut suivre le balisage rectangle bleu/blanc/bleu sur la droite qui remonte en pente douce vers notre point de départ (en 20 minutes).

♥ Je suis retournée sur les lieux la semaine suivante et j’ai trouvé le sentier que nous n’avions pas vu la première fois et pour cause, nous étions littéralement happée par l’attraction du site néolithique. Le sentier descend quasiment à flan de paroi au début du site, juste avant le panneau qui indique la Pierre des Druides. Un cairn en marque le passage. Ce sentier traverse la forêt en zigzaguant et plusieurs cairns aux formes amusantes égrènent le chemin.

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LES ARBRES ME PARLENT, DIT IDIR

Que racontent donc ces végétaux en leur majesté ombrageante ?
Quelles vertus relatent-ils à travers leur douce chorégraphie…
ainsi menée par le vent ?
Sont-ce des paroles augurantes ou le récit de leur trace séculaire ?

Ces arbres demeurent le symbole d’une nature meurtrie qui s’époumone
reclus dans un bastion précaire, à l’abri de « celui » qui la saccage puis la préserve

Zéphyr et brise bousculent alors les feuillages de leur souffle salvateur
Que racontent donc ces murmures ?

Nadia Ben Slima, 2015

 

 

 

 

Le Jura et ses ruisseaux contés – été 2018

Le Jura et ses ruisseaux contés – été 2018

•Journal de voyage•

Jour 1 – 19 juillet • Découverte de l’ « autre » Alésia

Mouchard, la commune où nous logeons est dans le Jura. C’est un petit bourg charmant mais trop bétonné à mon goût. Nous sommes hébergées dans une immense maison franc-comtoise que Monsieur Louis, le charmant monsieur retraité des lieux, a séparée en trois appartements indépendants. Un immense jardin clos est à notre disposition avec des arbres fruitiers qui font le bonheur des chiennes.  L’église et son clocher typique de la région est à côté et rythme nos journées de façon décalée (les cloches sonnent de manière impromptue et à des moments improbables). La chaleur est écrasante.

Comme Suzy nous réveille aux aurores (6h ce matin), nous sommes parties découvrir les sentiers de la région tôt et c’est beaucoup plus agréable.  Avant de partir, je promène Colette car sa morphologie ne lui permet pas de nous accompagner. Elle a droit à ses balades matinales et aussi en soirée, là où les heures sont plus fraîches et respirables.

A ½  h d’ici, il y a le hameau d’Alaise qui revendique le nom d’Alésia, l’oppidum où Vercingétorix a mené sa dernière bataille. C’est Alphonse Delacroix, siégeant à la Société d’Emulation du Doubs, en 1855 qui aurait spécifié cette extravagance historique. Le patrimoine archéologique est composé de tumuli des âges du fer et de vestiges gallo-romains.  Une boucle bien nommée « La Gauloise » permet de faire le tour de ces vestiges. Elle traverse un joli bois moussu et empierré et conduit à un belvédère à la vue époustouflante sur les plateaux verdoyants du Jura et les gorges du Lison. Les vestiges sont constitués d’abris sous roche et de restes de murailles blanches.

La roche calcaire affleure partout, et des amoncellements de pierre dessinent le paysage. La sente descend le long des falaises crayeuses. Tous les troncs des arbres sont recouverts de cette mousse épaisse qui donne des airs de conte aux chemins parcourus. Les papillons accompagnent nos pas. C’est féerique. Nous sommes seules dans ce décor intemporel.  Au bout de presque 1h de cette descente magique, nous arrivons au Lison.  Pause bienvenue pour Emma et Suzy qui s’éclatent dans l’eau fraîche de la rivière.

Le retour se fait par le GR 590 sur large un chemin forestier  mais qui semble totalement abandonné des vicissitudes de l’humanité… épilobes et balsamines ont envahi ses pierres et nous font une haie délicate entre les sapins immenses où respire la forêt.  C’est beau et puissant et je me sens infiniment petite et en même temps infiniment complète dans cette respiration.

Le retour au hameau est plus rude car midi est avancé et la chaleur est de plus en plus étouffante quand on quitte les bois.

L’après-midi sera plus lente : lecture, sieste et rêveries au gîte sauf pour Emma qui veille !

Jour 2 – 20 juillet  •  Le grand méandre de la Loue

« Vers le sud, point n’était besoin de mur de bois ni de pierre : la tour seigneuriale déploie ses ailes dépareillées au sommet d’une falaise abrupte au pied de laquelle coule la Loue. La tranquille rivière continue de lécher l’escarpement rocheux, s’appliquant à dessiner depuis toujours les mêmes boucles vertes sur la terre ».

                                                    Carole Martinez – Du domaine des murmures.

Un vent tiède apaise la torpeur du jour. Des orages sont annoncés pour la fin de journée.

Ce matin, c’est la Loue que nous sommes parties découvrir, plus vers le Nord. Une mini randonnée de 8 km sur les bords de cette large rivière caressée par des plantes aquatiques fleuries qui lui font une poétique et printanière coiffure blanche.

Emma est particulièrement pénible aujourd’hui. Sa truffe a dicté ses émotions et elle n’écoute RIEN ! Elle a d’abord commencé par chasser un troupeau de vaches apeurées (les pauvres) dans un immense champ clôturé.  Peu d’espaces sont ouverts et c’est regrettable. Les paysages sont façonnés par l’élevage qui cloisonne la nature.  Je dois particulièrement veiller justement à Emma qui ne comprend pas le principe d’une clôture.

Quand elle est lancée, conditionnée par son odorat, plus rien n’a d’importance. Dans ce pays de falaises et de fils barbelés, j’essaye d’être particulièrement vigilante.

Les filles se sont baignées dans la Loue.

La 2e partie du parcours s’est faite sur les hauteurs de Chenecey-Buillon, dans un joli sous bois peuplés de hêtres moussus et de murgers, ces murs de pierres sèches construits par les paysans d’antan, quand, labourant leurs champs jonchés de ces grosses pierres blanches, ils les déposaient à la limite de leur propriété. Tous les bois alentours en possèdent et ils jalonnent les chemins de randonnée. Un belvédère offre une vue panoramique sur ce méandre de la Loue à un peu plus de 400 m d’altitude.  On y voit aussi la tour en ruine d’un château féodal du IXè s. dévoré par la verdure, le château de Charencey.

Le chemin du retour s’effectue par un large sentier en sous-bois découpé par des trouées champêtres de part et d’autre. Emma sent toutes les bêtes libres qui peuplent ces lieux, elle est constamment à l’affût, vieil instinct de survie qui conditionne ses états d’âme quand nous sommes dans ces paysages boisés.  J’ai du la tenir en laisse une bonne partie du parcours.

Jour 3 – 21 juillet • Découverte de la reculée des Planches

La matinée a débuté doucement.  Hier soir il a plu et le ciel du matin était gris avec le fond de l’air humide. Du coup j’en ai profité pour balader Colette plus longuement avec Suzy. Nous sommes montées sur la colline avoisinante où sont cultivées les vignes de l’Arbois. Un immense Christ est posé à flanc de pente, une plaque précise qu’il est installé là, à surveiller la vallée, tel un mage aux supers pouvoirs, en commémoration de la seconde Guerre Mondiale. Au-delà des vignes, un bois couvre le sommet des lieux. Ici les bois ont tous des airs mélancoliques et ténébreux peuplés d’êtres invisibles.  Colette et Suzy ont apprécié.

Phlau n’était pas motivée pour bouger. Vers 15h, je l’ai convaincue de partir découvrir un lieu qui me faisait de l’œil sur ma carte de randonnée du pays d’Arbois (3325 OT) : une « fameuse » reculée du Jura. Les géographes ont officialisé ce terme : c’est « une longue vallée qui pénètre à l’intérieur d’un plateau calcaire à couches horizontales, et qui se termine brutalement en bout de monde, au fond d’un cirque calcaire, au pied duquel jaillit une résurgence ». Le Jura possède plusieurs reculées, celle de La Planche est typique.

La Cuisance coule dans cette curiosité géographique. Ce bout du monde est un paradis. La végétation y est dense, quasi tropicale, les arbres s’accrochent aux lapiaz et montent à l’assaut des falaises calcaires. Des trous sombres ouvrent la roche et des profils inquiétants découpent ses promontoires et habitent la forêt d’émotions étranges.  Le cirque du Fer à Cheval clos cet univers.  Cette forêt est composée de chênes sessiles, de taillis de charmes abondants et de quelques hêtres. Le tapis herbeux est riche et diversifié.  Les bryophytes foisonnent où chantent la rivière et créent cet univers féérique particulier des forêts jurassiennes.  Les tufs ou travertins délimitent les paliers de la Cuisance qui a des eaux bleues turquoise par endroit et qui enchantent le paysage. C’est paradisiaque !

La première source, la Petite Source de la Cuisance, est située au fond du Cirque du Fer à Cheval et donne naissance à la Petite Cuisance qui descend la reculée sur 1,7 km avant de confluer avec la Grande Cuisance dans le village de Les Planches-près-Arbois.

Dans le village des Planches, il y a un bar qui fait restauration bio et qui propose des menus végétaliens. Nous y avons dégusté de divins sorbets.

Au retour, nous sommes montées sur les hauteurs pour admirer cette reculée à partir de belvédères. Nous avons fini avec le château en ruines (dont il ne reste qu’un mur ouvert sur quelques pierres vestiges et une pièce au milieu de la végétation) de La Châtelaine où a vécu Mahaut d’Artois au XIII- XIVè s. (connue du grand public pour son rôle dans la suite romanesque Les Rois maudits de Maurice Druon). La lumière du soir faisait des ombres longues sur les fougères et les pierres amoncelées.

Jour 4 – 22 juillet • Port-Lesney et l’ermitage de Notre Dame de Lorette

Ce dimanche fut un dimanche à la campagne…tout en lenteur et quiétude, accentué encore par la torpeur estivale. J’aime l’ambiance de ces villages francs-comtois, échappée d’une bulle temporelle des années 50. Aujourd’hui, nous avons investi le jardin immense du 2 rue de la Fontaine. Petit-déjeuner tardif sous le poirier puis nous avons étalé un drap sous ce même poirier et avons paressé avec des lectures variées.

Après 16h, je suis partie seule avec Suzy, explorer les hauteurs du village voisin, Port-Lesney où coule la Loue.

Une jolie balade de deux heures dans un massif boisé aux beaux sentiers traversant les forêts profondes de ce pays. Cette promenade nous a conduites vers l’Ermitage de Notre-Dame-De-Lorette perché à l’à-pic de la vallée. Suzy est parfaite, elle me suit avec application, parfois me devance un peu mais garde toujours un œil vigilant sur mes mouvements. Et quand nous faisons des pauses elle surveille continuellement les alentours. Je craignais que la chaleur ne l’épuise trop vite et j’ai veillé  ce que nous restions toujours dans les sous-bois. Nous sommes revenues par un sentier plus étroit faisant une trouée magique dans ces frondaisons denses où coulait un ru qui a fait la joie de Suzy et apparemment celles des moustiques ambiants.

Un poème était accroché à un tronc d’arbre.

A notre retour au village, Suzy s’est jointe aux touristes locaux pour se baigner dans la Loue au pied du pont en fer qui la traverse. L’ambiance respire la simplicité, des familles profitent des joies de la rivière. Cette atmosphère  a presque le goût de mon enfance et c’est sans doute pour cette raison que je me sens si bien dans ces lieux quasiment décalés.

Jour 5 – 23 juillet • Le belvédère du Vieux-Château, le Pont du Diable et les Sources du Lison.

Aujourd’hui nous sommes reparties tôt explorer les campagnes alentours afin de profiter un peu de la fraicheur qui se fait de plus en plus rare. De Crouzet-Migette, un joli bourg étalé aux vieilles maisons empierrées, nous sommes descendues par un sentier qui traversait encore de magnifiques sous-bois. Ici, sous les sapins, la forêt respire et déploie tout une variété d’arbustes qui lui font de somptueux dégradés de verts sous la majesté des conifères. Comme pour toutes nos randonnées, nous n’avons croisé personne sur les chemins empruntés.

La montée vers le belvédère du Vieux-Château est assez rude car pentue et semée de rochers détachés des falaises qui surplombent le paysage. J’ai déjà constaté qu’Emma a un puissant flair (de chasseuse) et que quand elle a flairé un autre animal, plus rien n’existe sauf cet autre être. Elle finit toujours par revenir car c’est également une craintive viscérale (ce qui me rassure) mais avec ces contrées où les falaises tombent à pic, son impulsivité me fait craindre le pire donc je la garde en laisse à mes côtés.

Après la pause méritée sur les hauteurs, nous sommes redescendues vers les campagnes aux champs clos typiques de cette région. Il y a des barbelés partout. Quand on y pense et qu’on change son regard sur les choses c’est infiniment triste de se dire que ces magnifiques espaces sont cloisonnés pour une mise en esclavage et pour l’exploitation d’êtres sensibles. Finalement, moi randonneuse, je ne suis pas libre de savourer pleinement ces belles étendues car je suis aussi contrainte par ces cloisonnements. J’ai appris plus petite que ma liberté finissait là où commence celle d’autrui. Autrui est qui dans ce contexte ? L’exploitant-e agricole… et on revient toujours à notre société patriarcale inscrite jusque dans nos paysages ruraux.

Après la traversée du village de Ste Anne, nous avons emprunté un bout de départementale pour arriver au Pont du Diable. Impressionnant pont qui surplombe un précipice étroit où coule le ruisseau de Château-Renaud. Quelques marches nous conduisent sous le pont, un peu plus encore au bord du précipice, où trône l’impressionnant visage du diable sculpté dans la clef de voûte du pont. Son nom provient d’une légende selon laquelle l’entrepreneur chargé de sa construction, un nommé Babet de Salins-les-Bains, désespéré de ne pouvoir tenir le délai annoncé après plusieurs effondrements en cours de construction, accepte un pacte avec le Diable pour terminer le chantier à temps.

Le pont du diable

Suzy a fait une collecte remarquable de tiques ! Les deux louloutes sont épuisées et la chaleur commence à être pénible. Elles ont pu se rafraichir dans une baignoire naturelle au creux du lit quasi sec du ruisseau.

Le retour se fait en longeant la lisière de champs encore clos.

Nous finissons notre périple du jour par la découverte de la source du Lison, fantastique jaillissement en une cascade tumultueuse à même la falaise où quelques vacancièr-e-s se baignent, savourant la fraîcheur bienfaitrice de l’eau vive.

 

Nous rentrons par les jolis méandres des routes de montagne où chaque tournant invite à d’autres escapades de l’imaginaire.

Ce soir, Cyrille, le cousin de Phlau vient dîner au gîte.

Jour 6 –24 juillet  • Retour à la reculée des Planches

Je suis définitivement conquise par la Cuisance et sa résurgence dans la reculée des Planches, ses cascades à tufs (travertins) et la froideur bénéfique de ses eaux par ces températures caniculaires.  Nous y sommes retournées ce matin, avec les trois chiennes, idéal pour Colette qui peut ainsi savourer les joies d’une balade sans souffrir. Nous y avons croisé quelques rares touristes. Nous avons profité de l’espace ouvert du champ du Toux pour nous poser, apprécier encore les hautes falaises blanches et boisées de cette splendide reculée. Les chiennes s’en sont données à cœur joie (j’aime cette expression) dans les prés, dans l’eau vive…

Nous avons déjeuné au Bistrot des Planches où nous avions réservé deux menus végétaliens, savoureux. Nous sommes retournées tremper nos pieds, nos jambes dans la Cuisance. Je ne me lasse pas de ses eaux translucides, turquoises par endroit, de son décor paradisiaque gorgé de verts où les racines des arbres font des entrelacs fantasmagoriques, où l’eau chante inlassablement semblant se moquer des températures infernales des campagnes voisines.

Nous y passerons encore la journée de demain, c’est tellement revivifiant !

Au retour nous avons fait une pause à Arbois, minuscule et charmante ville au creux des vignes. Là aussi le temps semble s’être figé. Il y a encore des panneaux signalétiques qui annoncent la direction des… P.T.T. !  Certaines rues sont joyeusement ornées par des bulles gigantesques aériennes aux décorations scintillantes qui rappellent les fêtes de Noël, pleines de poésie, la place centrale est également égayée de guirlandes qui l’habillent à partir de sa fontaine qui trône en son milieu.

Oui, je suis ailleurs, dans un ailleurs « vieille France » où le temps prend un autre rythme et où les personnes croisées ont toutes  le sourire aux lèvres.  Ici les gens sont tous aimables et accueillants.

Jour 7- 25 juillet • La Roche du Feu (Mesnay)

La chaleur est de plus en plus écrasante. Nous décidons que cette dernière matinée sera consacrée à Colette qui peut s’éclater avec bonheur dans la fraicheur de la Cuisance. Nous repartons vers Arbois, définitivement conquises par cet endroit. Le matin, la reculée est déserte et c’est une véritable grâce de pouvoir en jouir ainsi. Nous quittons les lieux aux environs de 11h pour retrouver notre gîte dont les murs épais garantissent le frais des pièces. Ce n’est que vers 17h que Phlau et moi repartons (sans les chiennes) pour une dernière découverte des forêts et hauteurs des parages. J’ai décidé d’explorer un autre emplacement de cette reculée : la Roche du Feu, falaise située à l’Est de cette vallée. Une dernière et courte randonnée (7 km) pour saluer une ultime fois ces lieux. La lumière du soir irise les paysages et traverse les feuillages de ses rayons obliques, lénifiant les sous-bois. Chaque forme caressée par cette lumière miellée prend une texture ciselée qui la magnifie. Les forêts ont vraiment une densité particulière. La vie irradie partout et sous une infinité de formes.

Nous rentrons, repues.  Les bois sont une nourriture certaine et inépuisable pour recharger mes batteries.

Le retour se fera demain par 30°C. Heureusement qu’il n’y a que 300 km à parcourir et que la voiture est climatisée ce qui permet à Colette de dormir tranquille à la place du passager…

Les tourbières de Kaltenbronn

Les tourbières de Kaltenbronn

Au sud-est de Gernsbach, au-dessus du district de Reichental et au milieu d’une vaste zone forestière se trouvent les tourbières de Kaltenbronn  à plus de 900 mètres d’altitude. C’est la plus grande zone de haute montagne naturelle en Allemagne. Elle est classée réserve naturelle depuis plus de 60 ans.

 

Le développement des tourbières remonte à environ 10 000 ans, lors de la dernière période glacière.
Écosystème sensible où il est interdit de marcher, le parcours est balisé par une passerelle en bois qui protège ces marécages saturés d’eau sur des centaines de mètres et nous permet de découvrir tranquillement, sans avoir les pieds mouillés, cette terre meuble et gorgée d’humidité qui abrite de précieux lacs solitaires et sauvages :

Nous sommes parties de Strasbourg , Cédrine et moi, vers 7h. Il a fallu 1h30 pour atteindre le parking de départ de la randonnée à Kaltenbronn, près de Baden-Baden.

Un lundi, sous une bruine matinale, les sentiers étaient désertés par les humain-e-s pour notre plus grand bonheur.  Nous avons d’abord pris la direction du Hohlohsee, belle montée à travers une forêt où la brume drapait les frondaisons de lambeaux de mystère.

Avec le sentiment que tout palpite plus intensément et que nous sommes étreintes par un monde instinctif et secret. C’était magnifique. L’eau perlait et chantait partout avec cette indicible couleur dorée et transparente particulière aux ruisseaux de la Forêt Noire.

 

 

Le Hohlohsee

Après le lac, il y a une tour de 28,6 mètres qui permet d’admirer le panorama à 984 mètre d’altitude. Mais comme nous traversions des nuages, j’ai pu contempler en hauteur le mouvement de ces nuées qui noyaient le paysage d’une dense limite laiteuse.

Vue de la Hohlohturm

Vue de la Hohlohturm

Nous sommes redescendues vers Kaltenbronn afin d’emprunter le chemin qui mène au second espace de marécages et qui le traverse : le « Naturerlebnispfad Kaltbronn« .

Naturerlebnispfad Kaltbronn

La traversée est longue et surprenante sur ces planches de bois. Le paysage est habité par de nombreux pins et des bouleaux et toute une végétation de mousses, lichens, d’airelles et de carex jaunis par l’automne avancé.  Le Wildsee apparaît comme par enchantement entre deux souffles de brume, inaccessible et insondable. Écrin liquide baigné de poésie.

Le Wildsee

Le Wildsee

Nous poursuivons plus loin, notre cheminement. Le Hornsee est encore plus inaccessible, caché au milieu d’une végétation de début de monde ou de chaos de fin des temps.

Nos pas nous conduisent au delà des tourbières, sur des sentiers plus larges, bordés de variétés surprenantes, toutes plus colorées les unes que les autres, de champignons inattendus et saisissants. Les fougères brunies font un cordon dentelé aux pieds des majestueux épicéas de la forêt traversée.

Sur le chemin du retour, le soleil a même réussi a percé les nuages. Des milliers de gouttes, accrochées aux branchages des arbres, miroitent dans ses furtives apparitions.

Nous retrouvons la voiture après 5 heures (environ 20 km) de marche, repues d’émotions denses et nourricières.

« Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t’aime. »

George Sand- A Aurore.

 

Le Wildsee, le bien nommé.

Le Wildsee, le bien nommé.

J’aime la pluie. J’aime la pluie dans ce qu’elle a d’intime et de nourrissant, dans son potentiel à créer des moments de solitude particuliers qui forcent le repli sur soi. J’aime la pluie dans sa dimension mélancolique aussi, ce vague à l’âme qui s’ouvre et laisse couler un état de l’être plus lent et plus attentif.

Mais j’aime surtout la pluie au cœur de la nature où elle devient chantante, palpitante et magnifie les paysages, créant des univers de contes, fantasques et fantastiques. Le trésor de ces ondées est que les humains les esquivent. L’être humain n’aime pas être mouillé de façon générale. Pourtant c’est là qu’une autre dimension s’ouvre avec la nature. C’est dans ces moments, qui sont de grâce pour moi, que je peux totalement me fondre avec le macrocosme. Je suis l’herbe qui vibre, l’eau qui ruisselle de partout, chantante et joyeuse, la feuille qui s’égoutte, l’oiseau qui continue son chant au-delà du chant de l’ondée, la brume qui habille les paysages de voiles mouvants et les fougères qui chuchotent au vent leur ravissement de pouvoir s’épanouir à nouveau, repue et exaucée.

C’est donc sous une pluie continue que je suis partie explorer d’autres sentiers de la Forêt Noire.

Sarah

En ce moment, je me glisse avec plaisir dans les cartes topographiques qui s’amoncellent sur mon bureau. J’aime cette lecture particulière qui m’invite à transposer mon imaginaire au delà des courbes de dénivelés, des chemins qui se croisent et s’entremêlent, des espaces hachurés, bleutés, blancs ou noyés de vert. J’y cherche encore et toujours l’eau.

C’est la rondeur bleue et minuscule de ce lac appelé le Wildsee qui a attiré mon oeil sur la carte Kompass 877.

J’ai donc dessiné une boucle de randonnée pour découvrir ce lac d’origine glaciaire situé au cœur d’un environnement quasi intact, préservé.  Boucle d’une quinzaine de kilomètres et d’environ 500 m de dénivelé.

Sarah m’a accompagnée dans la découverte de ces nouveaux sentiers.  Comme moi, elle aime entendre chanter la nature sous la pluie.

Nous sommes parties du parking de Seibelsecke (à côté du Mummelsee), empruntant une sente en descente entre les conifères et les fougères denses pour rejoindre le ruisseau tumultueux du Kesselbach.  Une eau dorée et vive déferle sur des cailloux moussus et rebondit gaillardement sur tous les obstacles qui entravent son impétuosité.

La sente de la toute première descente menant au Kesselbach.

Le ruisseau du Kesselbach.

Le chemin suit son parcours en direction d’Hinterer Langenbach. A un moment, nous avons traversé un large pont de bois et poursuivi sur un sentier longeant un enclos de biches curieuses où trônait également un magnifique cerf.

Au hameau d’Hinterer Langenbach, la direction du Wildsee est indiquée à 5 km vers le Sud. C’est là que débute la montée. Les chemins s’élargissent. Tous sont noyés par l’eau de pluie. Nos pieds sont trempés mais peu importe. Chaque nouvelle perspective déploie une infinie de panoramas tous plus beaux les uns que les autres. Nous avons même croisé une salamandre.

C’est sur les plus hautes altitudes que les sentiers se rétrécissent à nouveau, traversés de racines noueuses et glissantes, de flaques frissonnantes sous le martèlement régulier de la pluie qui ne faiblit pas.

L’arrivée au lac est soudaine, il apparaît dans une échancrure de paysage, discret et solitaire, beauté farouche protégée par des sapins sombres à la cime noyée de brume. Nous y restons un moment savourant la plénitude de l’instant. Un abri de bois nous offre le refuge.

La remontée se fait par un sentier étroit et raide semé d’embûches et de rochers.

Quand les traces de la terre forment des cœurs…

Les hauteurs gardent les séquelles de la tempête Lothar de décembre 1999.

La pluie a cessé mais le paysage est clos par un habit de brume dense. Sur la crête, nous rejoignons une route forestière plus large où les nuances infinies des verts de l’été s’emmêlent au violet des bruyères en fleurs.

C’est par cette piste plus large que nous retrouvons le parking du départ en passant devant l’imposante Darmstädter Hütte.

Darmstädter Hütte

« chers randonneurs, faites attention à ce que vous laissez en forêt et dans la prairie. bouteilles, boites ( de conserves) et papier, nous vous le demandons, ne laissez pas ces choses ici. les emballages se laissent facilement rapporter chez vous, si son contenu se retrouve dans l’estomac. ramenez-les à la maison, jetez-le là bas, car les déchets sont en forêt ou dans la prairie au mauvais endroit. » (Merci Jean-Marc pour la traduction.)

Panneau se situant près de la Darmstädter Hütte > « Que tout ce qui a du souffle ( qui respire ), loue le Seigneur » (extrait de la Bible) « Notre pays avec sa splendeur, ses montagnes, ses campagnes, sont les témoins de ta puissance, les traces de ta bonté paternelle tout en nous adore, tu nous as fais quelque chose de Grand » – Kaspar von Greyerz- (et encore Merci à Jean-Marc pour la traduction !)

Trempées mais heureuses !

Etant tombée en amour de ce lac, j’y retourne avec grand plaisir d’autant qu’il n’est qu’à 3/4 d’heure de ma maison. Voici quelques photos prises dans la lumière solaire de l’été.