5 jours au bout d’un monde – La pointe de la Hague

Lundi 15 avril – jour 1

Omaha Beach

Ce fut une longue journée de voyage pour traverser le nord de la France. Le ciel était bleu, sans faille, un ciel éclatant de printemps. Nous sommes parties à 5h, la nuit était encore bien encrée.  Arrivées presque au but, nous n’avons pas pu nous empêcher de faire une courte pause sur les plages du débarquement, histoire de voir le sable et la mer avant la fin du voyage comme nous devions traverser le Cotentin.

Premiers pas sur le sable de Suzy…

Mardi 16 avril – jour 2

Face à l’Atlantique (puisque la Manche est une mer épicontinentale).

Juste devant la maison.

La Côte des Isles, dans la Manche, je la connais pour l’avoir découverte dans mon autre vie. Elle porte son nom car elle fait face aux îles anglo-normandes situées à une quarantaine de km au large (dont Jersey et Guernesey sont les plus célèbres).

La plage « de la maison ». Barneville.
Vue depuis le cap de Carteret sur Barneville.

Il y a des lieux qui m’ont imprégnée et dont la trace est enracinée dans ma mémoire, nimbée de douceur et source d’apaisement.  Je n’aime pas particulièrement les paysages maritimes que je trouve souvent trop fades. Je m’en lasse vite. Contempler la mer ne m’émeut pas plus que cela.  Cette monotonie n’a pas d’effet lénifiant sur mon énergie. Mais, ici, ces longues plages de sable fin désertées en cette saison, abritées des houles de l’Atlantique par les îles proches et réchauffées par le Gulf Stream, ces cordons dunaires et ces vents d’Ouest dominants, ces paysages de vasières et prés salés, et ces roches égayées d’une myriade de fleurs printanières m’apaisent et me ressourcent. Outre le fait qu’elles soient délaissées par les foules ce qui contribue énormément à leur attrait. Le printemps est la saison idéale pour parcourir ce bout de monde.

L’appartement où nous logeons à Barneville est au bord de l’océan, lumineux, calme et a même un petit jardin où savourer les embruns marins dans la quiétude du jour. Ma chambre est à l’étage avec une immense baie qui donne sur les marées et la plage de sable blond. Cela fait bien longtemps que je n’ai plus dormi seule et j’ai pu ainsi apprécier cet immense lit aux draps blancs (impossible les draps blancs quand on partage son quotidien avec d’autres animaux). J’ai un sentiment de luxe et d’une grande sérénité loin des chaos du monde.

Je suis comme dans une bulle intemporelle. Le temps s’est figé dans l’instant. Juste savourer.

Emma, trop énergivore est restée avec Jesper à la maison où il la bichonne ainsi que Colette qui ne peut pas cotoyer le sable avec ses yeux opérés. Suzy a décidé de dormir pour sa première nuit au rez-de-chaussée avec Phlau. Ce matin, elle est venue se poser à mes côtés pour contempler l’océan tandis que j’écris mon journal de voyage.

Le souffle du monde est quand même venu jusqu’à nous pour raconter Notre-Dame en flammes. Triste et déplorable incendie, cependant cela reste de la pierre, construite en de sombres temps où des humains ont été exploités et ont donné leur vie pour ce gigantisme orgueilleux et présomptueux d’une époque où le christianisme s’imposait comme culture dominante. Oui, c’est notre patrimoine, oui cela a ouvert la voie à l’évolution architecturale mais tout est impermanence. Il n’y a aucune mort d’humains à déplorer. Les oisillons nichés dans ses creux auront péri mais cela importe peu notre humanité accrochée à ses fantasmes et ses émotions …à ses traditions. C’est incroyable ce que cela cristallise. En fait cela me fascine et me fait douter de notre potentiel à poser des actes pour avancer. S’accrocher aux vestiges semble plus rassurant. Le vide à combler est angoissant, pourtant il est riche de tous les possibles.

Pas d’inquiétude, des dons en centaines de millions d’€ arrivent déjà et elle sera reconstruite, j’espère sans sa forêt ! Parce qu’abattre encore des écosystèmes au nom d’un dieu…

Mais plus important dans mes échelles de valeur, cette nuit huit individus ont été sauvés de la mort à  Girona en Espagne.

Mercredi 17 avril – Jour 3

Eglise en ruine, dunes d’Hattainville.

Hier, nous avons passé notre après-midi dans les dunes d’Hattainville, site naturel classé de 400 hectares considéré comme un massif de « dunes perchées » qui culmine jusqu’à 80 m d’altitude sur plusieurs kilomètres de profondeurs. Autrefois mobiles, les dunes ont été stabilisées par l’édification de clôtures en bois et la plantation massive d’oyats, plante vivace au système racinaire très profond. Elles suivent cependant le mouvement des vents qui les caressent et les modèlent.

Sémaphore de Carteret.
Confidences dans les dunes.

Très belle randonnée avec pas mal de petites montées et descentes notamment dans le sable ce qui en a fait une balade assez physique de 13 km. Nous sommes parties des falaises de Barneville en empruntant le sentier des douaniers balisé GR223.

L’or des ajoncs.

Cette saison est parfaite, avec la douceur qui règne, les roches et dunes sont égayées de myriades de fleurs colorées, des mousses et lichens déclinées dans toute la gamme des verts et des ors, c’est aussi la pleine saison de la floraison des ajoncs, leur jaune ruisselle sur les falaises rejoignant les éclaboussures de soleil sur les pierres grises.  Il y a très peu d’humains, les plages sont vides et les sentiers désertés. Tout semble angélique, doux, délicat, nonchalant et facile. Une parenthèse inscrite dans une époque qui semble révolue.


La plage de la Potinière, à Carteret, on trouve aussi de jolies cabines de bain, blanches et bleues.

Et sur ces falaises nous avons rencontré deux chèvres. C’est là que je me dis « heureusement que je n’ai pas pris Emma ! ». Ce sont des chèvres libres qui arpentent le chemin des douaniers. Elles permettent l’entretien nécessaire de la lande et sont, à ce titre, protégées par le Conservatoire du Littoral. Elles y vivent depuis une vingtaine d’années. Traditionnellement, chaque ferme avait quelques chèvres  afin de nettoyer landes et haies. L’usage se perdant avec la mécanisation, ces chèvres ont été laissées à la vie libre. Les dunes sont truffées de terriers et nous y avons croisé plein de lapins de garenne. A la frange des dunes, il y a d’ailleurs des panneaux où est écrit « limite lapin » à la main. Je me demande à qui sont destinés ces panneaux. Avec toute cette vie dense autour de nous, autre qu’humaine, cela fait longtemps que nous aurions perdu Emma. De plus, là, nous avons tout le loisir de l’observer.

Chèvre libre

Le temps reste agréable, les cieux sont magnifiques et les vents d’Ouest portent les nuages et  offrent des lumières changeantes et toutes plus magnifiques les unes que les autres. J’ai parfois le sentiment d’être posée dans une œuvre picturale.

Le soir, nous n’avons qu’à nous poser sur le banc dans les dunes, face à notre logement, pour contempler la course lente du soleil descendre dans l’océan et enflammer une dernière fois le cap de Carteret.

jeudi 18 avril 2019 jour 4

Anse de Sciotot
Anse de Sciotot

Hier, les températures furent printanières et le soleil a accompagné nos pas sur les falaises du cap de Flamanville. Nous nous sommes posées sur l’immense et magnifique plage de 4km, protégée des vents dominants,  de l’anse de Sciotot, avons couru sur les franges des vagues quand elles viennent s’échouer sur le sable. Suzy a nagé dans les piscines naturelles des rochers où l’eau était d’une incroyable transparence.  Ici, l’intemporalité règne. Pas de fronts de mer, pas de boutiques à touristes, pas de bars qui dénaturent le paysage. Il y a une douceur dans l’air qui lénifie le mental. Tout y est bucolique et serein. Ici on pourrait presque croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Anse de Sciotot

Au retour nous sommes passées par le bocage et par une jolie zone boisée, le sentier chemine le long d’un ruisseau, le Rond Marais, traverse un étang et nous ramène à notre point de départ au château de Flamanville, imposante bâtisse du XVIIè s.

Château de Flamanville

Ce matin, j’ai ramassé quelques galets sur la plage juste en face de notre lieu de vie. Il n’y avait personne pourtant ce n’était pas aux aurores. Suzy s’est éclatée en jouant avec les algues. La marée était haute.  Le temps ne semble avoir aucune prise sur le rythme de l’océan. Il est binaire et lent. Il est calé sur le rythme des vagues et cette frange bleue de l’horizon qui occupe tout l’espace.

Suzy jouant sur la plage, le matin.

Vendredi 19 avril jour 5

Hier nous sommes parties vers la pointe de la Hague pour un circuit au pays de Millet (vous savez ce peintre réaliste, pastelliste spécialiste des scènes champêtres et paysannes du XIXè s) au départ du Port Coquignolet du Hâble à Omonville-la-Rogue. L’ambiance était étrange, vaporeuse avec un ciel voilé et par intermittence des vents froids qui m’ont fait regretté ma veste plus épaisse laissée à l’appartement.

Le circuit passait dans les bocages des collines qui surplombent ce bout de terre, par des chemins serpentant entre les murets de pierres blanches typiques de cette région, tous habillés d’une végétation luxuriante, d’arbres enracinées dans ces pierres et qui en scellent la structure.  Avec l’ambiance légèrement brumeuse, cela donnait l’impression d’avancer dans un conte, les branches tortueuses des immenses arbres nous ouvrant la voie, des ruisseaux chantant traversés de petits ponts de pierre rythmaient nos pas. On a fini ce circuit par le GR 223, ce sentier des douaniers quasi aérien, serpentant entre falaises déchiquetées par les marées, baies et landes jonchées de fougères et bruyères  séchées ou d’ajoncs  à l’or éclatant. Les cormorans huppés, fulmars et goélands argentés volant au dessus des îlets du Hablet en quête d’un éventuel repas, des ruines de masures posées comme des squelettes empierrés gardiennes de ces lieux accaparés par les vents et les eaux, rudes et puissants. Il faut dire que ces roches sont parmi les plus anciennes d’Europe. Elles ont plus de deux milliards et quelques millions d’années.

Après cette marche, nous sommes encore passées par le cap de la Hague jusqu’au phare de Goury, vaillant gardien de cette pointe du monde depuis 1837, signalant le raz Blanchard, l’un des courants les plus forts d’Europe ainsi que le passage de la déroute entre le cap de la Hague et l’île d’Aurigny.

Le phare de Goury au cap de la Hague
Le Nez de Jobourg, parmi les falaises les plus hautes d’Europe.
Le Nez de Jobourg

Aujourd’hui, nous avons arpenté le GR 223 autour du Nez de Jobourg, imposant promontoire rocheux  dont les falaises culminent à 128 m. (parmi les plus hautes d’Europe), situé à l’extrémité méridionale du cap de la Hague.

L’humain a un étrange concept de la liberté… Avec des barbelés. Réfléchissons aux mots que nous galvaudons. Une prison peut être à l’air libre mais reste une prison à partir du moment où l’espace est cloisonné et l’individu contraint de s’y tenir pour être exploité. Cela ne s’appelle pas « liberté ».

Le soleil inondait le paysage et ce soir je sens sa brûlure sur mes épaules et mes joues. Cette randonnée fut impressionnante de par les vertigineux précipices au détour de chaque courbe du sentier parcouru mais aussi par les eaux turquoise de la Manche inondées de lumière. Nous avons aussi traversé des hameaux plein de charme éparpillés dans le bocage voisinant les côtes. La randonnée s’est achevée par une dernière pause sur une des plus jolies plages du coin, celle de la baie d’Ecalgrain. C’est une plage de sable et de galets encadrée par un paysage verdoyant où s’entremêlent landes, bruyères et ajoncs.

En fait, depuis le Nez de Jobourg en remontant vers le nordague, les falaises abruptes s’adoucissent pour laisser place au platier rocheux du cap de la Hague. Le paysage est à chaque fois renouvelé et infiniment puissant et grandiose. Il me rappelle les côtes irlandaises.

En repartant vers notre station balnéaire de Barneville, nous avons fait une courte pause au cimetière d’Omonville la Petite pour saluer Prévert.

J’écris ces mots de ma chambre idéale avec vue sur le bleu de la mer, l’eau scintillant des milliards d’éclaboussures solaires…l’illusion d’un paradis sur terre le temps de quelques jours.

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