Samedi 26 octobre 2024 – Arrivée au gîte
Mes destinations sont de moins en moins lointaines. Nos espaces proches sont souvent méconnus et gagnent à l’être. Nous sommes au pied des Vosges du Sud, dans le Val d’Ajol. J’y ai réservé un gîte immense aux espaces ouverts, spacieux et propres. Cette ancienne ferme, reconvertie en lieu d’accueil pour touristes, est isolée sur une colline, à proximité d’un point sommital à presque 700 m d’altitude qui s’appelle le Haut de l’A. ça ne s’invente pas ! Il a fallu que Phlau le prononce pour que j’entende le jeu de mot.
Nous avons été accueillies chaleureusement par notre hôte qui nous a confectionné une tarte aux mirabelles (végétalienne bien sûr). Je l’avais prévenu que nous ne consommions pas autrui.
La fenêtre de ma chambre, à l’étage, donne sur l’orée d’un bois et, quand le soir tombe, des chevreuils viennent se poser dans le champ proche. Voisins inattendus et ô combien appréciés !
Quand je pense que l’un des arguments des raisonneurs du spécisme, en tant que doctrine défendable, est d’avancer que, si nous cessons toute exploitation, nous coupons les liens avec les autres espèces. J’avais découvert cette aberration comme critique de l’antispécisme dans « Vegan order » de Marianne Celka. C’est tellement le contraire qui se passe.
Ouvrir les yeux sur un système de domination permet déjà de le rejeter et de porter un regard différent sur les liens que nous tissons avec les autres, les victimes de ce système.
Si couper les liens avec les autres signifient de ne plus les exploiter, ni les tuer, il est alors de notre devoir moral de le faire.
Cela dit, depuis ma prise de conscience, je n’ai jamais autant observé autrui, de loin, dans le respect de qui il ou elle est, en veillant à ne pas être intrusive. Me fondre dans un décor et observer qui y vit, qui je côtoie, qui je dérange.
Depuis ma prise de conscience, je n’ai jamais autant été en affinité avec les autres espèces libres que j’ai l’opportunité d’approcher, de fréquenter. Ces « liens » ne reposent plus sur un système de domination volontaire mais sur un regard nourrit par le respect et l’empathie.
L’autre est devenu mon égal.
Dimanche 27 octobre 2024 – Du côté de la Haute Saône
Ma nuit fut courte. Changer de lieu, de lit, demandent toujours un temps d’adaptation. Rosa m’a collée. Suzy a dormi à mes pieds.
Nous avions prévu d’aller randonner sur les contreforts de Saint Bresson, bourgade à une vingtaine de km d’ici, en Haute Saône.
Lorsque nous avons entamé la marche, des hurlements effroyables de chiens montaient des bois. Aucun panneau n’indiquait une potentielle chasse pourtant c’était bien de ça qu’il s’agissait.
Ce fut horrible et éprouvant. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut prendre du plaisir à provoquer tant de violence, prendre du plaisir à tuer car c’est bien de cela qu’il s’agit. Soudain, les espaces boisés sont sous contrôle total d’hommes assoiffés de meurtre qui s’approprient TOUT jusqu’à la vie des espèces qu’ils croisent, humains compris. Et, nous, promeneuses pacifiques, n’avons pour seul choix que de rebrousser chemin car nous craignons pour notre vie mais aussi d’être confrontées à un tel déploiement de violence. Rien ne justifie cette agressivité et certainement pas une pseudo régulation. Rien ne justifie l’assassinat d’êtres sentients.
J’ai dû chercher une nouvelle randonnée, le cœur battant et l’estomac au bord des lèvres. C’est dans ces moments que ma part d’ombre m’envahit et que j’ai des pulsions de révolte démesurée.
Il m’a fallu du temps pour m’apaiser et le choix du nouveau circuit fut judicieux : sentiers envahis d’herbes hautes au tracé hésitant qui nous a demandé de la concentration, chemins disparus sous les ronces, demi-tours improbables, à flanc de colline où se déployaient tous les ors de l’automne, loin des hurlements anxiogènes des meutes de chiens. C’était un circuit de moins de 10 km mais j’ai l’impression d’en avoir parcouru le double.
Nous avons visité la chapelle des Jeannery, suivi des allées ombragées aux murs moussus, observé la croix monumentale du Mont Dahin du XVIè s ; (mais qui n’est pas monumentale juste grande et élancée) et déniché des étangs lovés dans le creux boisé des plateaux sommitaux. Nous avons même découvert les ruines envahies de mousses, de lierre et d’arbres d’un couvent abandonné au cœur de la forêt, après avoir suivi une sente improbable longeant des buissons touffus et épineux.
Retour au gîte en début d’après-midi, le soleil inonde les lieux. Le reste de la journée sera lent et apaisé.
Lundi 28 octobre 2024 – La cascade de Faymont
Le temps est incroyable, lumineux avec un magnifique soleil d’automne et un vent léger qui apaise l’air. J’écris dehors, à l’arrière du gîte, là où les chevreuils viennent se poser soir et matin. Hier nous n’avons vu personne mais je ne suis pas étonnée. La violence des chasseurs y joue sans doute un rôle. Suzy est posée à mes pieds, à l’ombre de la table. Rosa aussi d’ailleurs.
Aujourd’hui nous sommes parties du côté du Val d’Ajol, à une dizaine de minutes de notre maison. Nous avons fait un circuit d’une dizaine de kilomètres bien mieux balisé que celui d’hier. Toute la différence entre les Vosges et la Haute Saône qui est moins une terre de tourisme de randonnée. La balade débutait par la cascade de Faymont, site naturel classé depuis 1910. Elle est lovée dans un vallon encaissé, point de départ de divers circuits autour de la vallée de la Combeauté. Nous sommes montées par de larges sentiers forestiers bien praticables où l’éclat du soleil faisait de généreuses ombres longues dans les sous-bois traversés, les nimbant d’une lumière féérique.
Nous sommes passées à côté d’une monumentale fourmilière, un panneau demandant de la respecter. Ce genre de panneau me laisse toujours perplexe. C’est très bien qu’il ait été placé là, qu’il souligne l’importance du respect face à cette fourmilière mais qu’en est-il des autres êtres sentients ? Ceux et celles qui finissent dans les assiettes ?
Pourtant la science a prouvé que leur vie n’était pas moins légitime que le nôtre, qu’ils et elles avaient un intérêt à vivre, ressentaient joie, peur, tristesse, accablement, etc. En plus, nous n’avons aucun besoin nutritionnel qui justifierait d’abuser d’eux et elles et ça aussi c’est prouvé par la science.
Le circuit continuait vers le plateau sommital entièrement dédié à … l’élevage ! Tous les espaces sont cloisonnés pour cette pratique délétère. Tous les réels habitants de ces lieux (je ne parle pas des humains qui se sont accaparés ces espaces pour ces pratiques d’un autre âge) sont contraints et chassés. Les écosystèmes sont appauvris par la pratique de l’élevage qui ne conserve en rien les paysages. Là aussi, il faut déconstruire la romantisation des campagnes et du pseudo petit élevage local qui n’a de bienveillant et d’écologique que l’illusion qu’il se donne d’y croire afin de perpétrer une domination pernicieuse.
Une fois qu’on a ouvert les yeux sur tous ces systèmes de domination et d’oppression, il est difficile de remettre des œillères.
Donc je n’ai pas apprécié notre circuit sur les hauteurs. J’ai préféré de loin la montée en sous-bois et la descente sur l’autre versant de la colline, là où chantaient les ruisseaux vagabonds et les fontaines abandonnées.
Mardi 29 octobre 2024 – la forêt domaniale d’Hérival
Enfin ! Enfin des espaces boisés et moussus à perte de vue, des vallons herbeux sans vaches au destin tragique, des ruisseaux chantants dévalant gaillardement tous les pans des collines traversées, des étangs aux eaux sombres parées de bouleaux et sapins gigantesques où vient danser et se fondre l’éclat solaire du jour.
Nous avons débuté la randonnée par le chemin de l’empereur, nom pompeux mais lié à l’histoire de ce territoire. Napoléon III et Eugénie, en cure à Plombières, parcouraient volontiers les environs d’Hérival. Le chemin dit ” de l’Empereur ” témoigne donc de ce passé florissant. Il passe devant la source des Tanchottes qui ressemble à un marécage aux eaux translucides. Cette terre d’humidité est émaillée de 27 sources. L’eau abonde partout.
Le sentier passe devant deux étangs et conduit au monumental et remarquable prieuré d’Hérival, aujourd’hui propriété privée. Les prairies autour du prieuré sont inscrites depuis 2005 à l’inventaire des Espaces Naturels Sensibles du Département des Vosges. Le site est saisissant de sérénité et de beauté.
Nous poursuivons notre montée le long d’une route forestière qui nous conduit à un croisement sur la D 57. A ce carrefour se trouve une guinguette qui semble sortie tout droit d’un décor des années 1970.
La descente se fait part un sentier embourbé au départ où Rosa y perdra momentanément sa blancheur. Il se modifie ensuite en une jolie sente qui serpente dans une forêt où dansent les rayons lumineux du jour exceptionnellement doux pour une fin octobre. Il nous amène le long d’étangs reconvertis en exposition nature.
Le final de cette très belle randonnée passe par la cascade du Géhard.
De l’eau, de l’eau et encore de l’eau… partout, chantante, vive ou plus calme, apaisée, selon les formes qu’elle aime prendre.
Sinon, au gîte, les chevreuils sont là le matin et en fin de journée. Pour l’instant j’en ai vu deux, l’un semble prendre plaisir à se poser dans le pré qui côtoie notre maison, l’autre est plus craintif est reste à l’orée du bois, là où serpente un ru dont j’ignore le nom.
Mercredi 30 octobre 2024 – sur les hauteurs de Girmont Val d’Ajol autour des tourbières des des grands bassots.
Ce matin je suis partie seule randonner avec Rosa. J’aime marcher seule car je suis entièrement libre de mon choix de tracé que j’adapte à mon énergie du moment. Ainsi, nous avons parcouru 16 km dans les tourbières caractéristiques du paysage où nous logeons.
Mon circuit nous a aussi conduit vers de très belles vues, sur la vallée de la Moselle, où s’agrégeaient des nuées blanches denses dans les zones urbanisées dévoilant un panorama magnifique, nimbé de bleus et de lumière. Nous avons longé plein d’étangs dont j’ai oublié le nom, traversé des forêts aux arbres gigantesques, aux mousses épaisses et aux verts tendres, pris des sentiers bordant de vastes prés ouverts sur des lointains bucoliques, sur les vallons vosgiens, ombragés d’ors et de rouges, emprunté des sentes dans des landes de genêts où affleuraient les ruisseaux…
Les couleurs de l’automne et l’exceptionnelle lumière de cette période parent ces cheminements d’une beauté renversante. Les paysages sont enchanteurs, littéralement. Chaque détour de chemin dévoile une nouvelle émotion et l’air oscille entre une humidité prégnante et une chaleur surprenante selon les endroits parcourus. L’eau est présente partout et ruisselle souvent sur les charmilles embourbées qui font de Rosa, un mini amas de poils boueux (que cela ne semble pas déranger).
Jeudi 31 octobre 2024 – Circuit sur les hauteurs de Girmont d’Ajol puis visite de Plombières-les-bains.
Aujourd’hui le temps est de saison, un opaque manteau de brume a envahi les collines et les paysages sont emprunts d’humidité. Le matin, j’avais créé un petit circuit de 6 km, à cinq minutes de la maison en voiture, pour balader les chiennes afin de les laisser au repos au gite pour visiter Plombières-les-Bains l’après-midi. Les villes sont des lieux de stress pour mes louloutes et je préfère les ménager donc j’adapte notre séjour en fonction de chacune.
Le circuit du matin, dans les hameaux bordant le bois du Rey, était en grande partie sur les chemins de l’élevage. Les sentiers étaient défoncés par le passage des tracteurs et des vaches exploitées pour leur lait. Les espaces boisés traversés étaient cloisonnés par des ficelles pour guider les vaches vers les fermes à lait afin qu’elles n’osent pas déambuler au-delà des chemins habituels de leur exploitation. Du coup, c’est littéralement tous les espaces qui sont sous la coupe de l’élevage : promeneurs, promeneuses, autres animaux, etc. Tout comme la chasse, l’élevage s’approprie le corps des autres mais aussi les territoires où il se pratique.
Heureusement, la moitié du parcours s’effectuait dans le bois du Rey, écarté des lieux d’exactions. La brume ombrait les sapinières de halots fantasmagoriques et éthérés où dansaient des toiles d’araignées perlées d’humidité.
Et, pas un seul humain sur le parcours, juste nous quatre, émerveillées et les pieds trempés !
L’après-midi je suis partie juste avec Phlau pour découvrir Plombières-les-Bains à quinze minutes du gîte.
Que dire de Plombières ? Déjà c’est encaissé au creux d’une vallée où coule l’Augronne. Y arriver un 31 octobre par une journée de brouillard ne rend pas le site follement attractif. Plombières existe depuis le Vè siècle avant JC, surnommée la « Ville aux mille balcons » et aux 27 sources, ce fut une station thermale très à la mode à différentes époques et notamment au XIXe siècle, sous Louis-Philippe Ier et l’Empereur Napoléon III.
Effectivement, il y a une multitude de balcons aux très belles ferronneries parementées qui agrémentent de vieux immeubles… abandonnés. La cité semble figée dans son passé glorieux mais décati. La grisaille du jour n’embellissait pas ce décor dévasté par le temps. Des enfants déguisés parcouraient les rues en quête de bonbons, rajoutant un soupçon d’étrangeté dans ce cadre révolu. Beaucoup de boutiques étaient fermées souvent de façon définitive.
Nous sommes montées sur les hauteurs de la ville pour découvrir les jardins en terrasse, espace alternatif, à ciel ouvert, qui nous a enchantées, à la fois parc de loisirs et lieu culturel. Des personnes déblayaient les parcelles jardinées pour leur toilette hivernale et les différents lieux de convivialité étaient nettoyés et rangés pour la fin de saison. Cela rajoutait au sentiment d’abandon qui planait sur toute la cité mais c’était plus agréable au cœur de la nature. Nous ne sous sommes pas éternisées sur le site.
L’humidité et la grisaille nous ont donné envie de chocolat chaud et de tartines beurrées.
Nous sommes donc retournées dans notre logement pour savourer tout cela et nous pauser dans la quiétude chaleureuse du gîte.
Vendredi 1er novembre 2024 – le sentier des vieilles abbayes
Retour dans la féerique forêt d’Hérival à cinq minutes de la maison en voiture. Je craignais les chasseurs ou le monde puisque c’est un jour férié mais il n’y avait ni les uns, ni les autres.
Je suis tombée en amour de cette contrée boisée sombre et mystérieuse. J’avais dessiné un circuit différent de celui de mardi. Je pense que si nous restions plus longtemps, j’explorerais tous les sentiers de cette romantique forêt vosgienne.
« La vallée d’Hérival était à l’origine couverte de forêts denses, de broussailles, de ronces et de marécages où rodaient ours bruns, loups, bœufs sauvages et élans. Les moines vivaient toutefois en harmonie avec cette nature. Ils se nourrissaient de plantes et de racines. »
Extrait de https://urls.fr/rpsIr-
Nous sommes montées par un large chemin herbeux non balisé depuis le chalet de l’empereur (mais ces noms !) jusqu’au croisement de La Vigotte en empruntant, sur le dernier kilomètre, un bout du GR5 (magnifique travée ravinée au cœur des mousses et des sapins). Puis nous sommes redescendues par le « fameux » sentier des vieilles abbayes dont les sites de randonnées vantent la beauté.
Effectivement, à partir des ruines des anciennes abbayes dont il ne reste qu’un mur bas envahi, comme le reste de la forêt, de mousses et de graminées, le chemin s’affine et devient une sente féérique parcourue de rus vagabonds et enchanteurs.
Elle traverse la pente abrupte d’un vallon habillé de roches monumentales, de résineux et de feuillus. Le paysage est spectaculaire, baigné d’un soleil d’automne bas qui fait danser les ombres et les ors des feuillages et des arbres morts. L’eau ruisselle partout, babille entre les pierres glissantes et fait des entrelacs avec le sable du gré.
C’est ce sentier qui nous ramène à notre point de départ.
De retour au gîte, nous douchons les chiennes : Suzy s’est roulée dans toutes les odeurs suspectes qu’elle a dénichées et Rosa a des petites bottes de boue noirâtres qui laissent des indices partout où elle passe.
L’après-midi sera paresseuse, le soleil inonde à nouveau nos prés. Dans la vallée, au loin s’agglutine les nuages. Nous savourons cette lumière et cette douceur bienvenues.
En fin d’après-midi, nous décidons d’aller faire un dernier tour dans la campagne proche, là où sommeille l’eau sombre des étangs qui jalonnent la contrée. Je fais découvrir à Phlau et Suzy (moins enthousiasme) celui où je me suis posée avec Rosa lors de notre tour de 16 km.
Pas un seul humain, le soleil s’efface dans des roses délavés au loin et les eaux sont infiniment calmes. Nous y faisons un bref tour afin de prendre encore une dose de pleine nature avant le retour au monde urbain.
Demain est un autre jour.
Samedi 2 novembre 2024 -retour
Nous partons relativement tôt et déjà les chasseurs ont envahi les lieux. Je ne supporte plus ces pratiques d’un autre temps qui maintiennent tout un système oppressif en place et que laisse faire la majorité de la population pourtant contre cette activité meurtrière. Un seul panneau prévient de la chasse. Il y écrit « Soyez vigilants, chasse en cours » ! Ceux et celles qui arrivent de l’autre côté ne seront pas prévenues. Et je pense surtout à toutes les victimes autres qu’humaines qui subissent cette violence tous les week-ends.
La chasse, un problème mortel…