Je ne sais pas pourquoi j’ai une tendresse particulière pour les Vosges du Nord, sans doute le fait que ses sentiers soient moins arpentés que celles du Sud y est pour beaucoup mais pas seulement. Il s’en dégage toute une poésie de conte oublié quelque part dans un coin de ma mémoire, une résurgence de l’enfance où je me dis qu’ici je peux lâcher ce qui me pèse, que ces escapades m’emportent dans leur quiétude vers d’autres rives, loin de cette humanité qui m’oppresse souvent… Mon coin d’utopie, celui où je me sens chez moi et où les limites s’évaporent.
A cet endroit, la couche de grès, formée il y a 250 millions d’années atteint environ 300 mètres d’épaisseur. La pluie et les ruisseaux ont érodé et façonné la roche formant ainsi les falaises, les pitons, les vallées et les cuvettes des Vosges du Nord.
J’y étais en février et y suis retournée début mars, une de mes dernières « sorties » avant cette étrange période de libertés supprimées. Le circuit est jalonné de rochers aux points de vue splendides.
Le départ se fait au parking de la Maison forestière Groupement Ornithologique du Refuge Nord Alsace. C’est l’entrée du site Natura 2000 « Vosges du Nord » et de la Réserve nationale de chasse et de faune sauvage de La Petite-Pierre. J’ai toujours du mal à associer tuerie (chasse) et la protection d’un espace. Mais je ne vais pas m’étendre sur ce sujet. Le lobby de la chasse est puissant et sait s’immiscer dans les plus hautes instances pour justifier ses tueries.
Les milieux traversés sont rares et protégés. La balade nous emmène d’abord vers le rocher de Loosthal (367 m.) , premier point de vue sur les collines boisées de résineux et de feuillus encore dénudés au coeur de l’hiver du Spitzberg et du Brudersberg.
Le rocher suivant est le Finkenstein mais il n’est pas accessible, protégé par une corde qui en interdit l’accès pour cause de nidification. Les panneaux interdisant son accès ne sont pas plus explicites.
Très vite on arrive au Rocher du Cerf (le Hirschfels), la vue est à couper le souffle. Excepté le château de Hunebourg aucune construction humaine n’apparaît. Ce domaine est l’endroit de prédilection du cerf élaphe . Un petit kiosque s’y trouve. En mars, un sapin s’est effondré sur lui suite aux violentes tempêtes de cette période mais ne l’a pas détruit.
Le chemin se poursuit vers la route forestière du Breitschloss, nous arrivons rapidement à la zone marécageuse du Lach pour le plus grand plaisir de Suzy.
La balade continue sur de larges sentiers qui nous amènent tranquillement au Rocher du Saut du Chien (le Hundsprung) composé de trois plateformes.
De là, un magnifique panorama s’offre à nous et nous décidons de nous poser à cet endroit pour pique-niquer (début mars). Une légende raconte que certains soirs d’été, quand le temps orageux perturbe les animaux, un grand chien noir aux yeux de feu saute d’un rocher à l’autre. Malheur aux passant-e-s qui voudraient le suivre, car il ou elle tomberait dans le vide et cette chute serait fatale. Mais heureusement, depuis la construction des trois passerelles, on risque moins de tomber dans le piège de cet étrange animal.
Gaston et Colette. L’enjeu de la pomme.
Ensuite on a fait un petit aller-retour jusqu’au rocher du Bélier pour nous repaître encore de cet extraordinaire panorama boisé mais sous un autre angle. Je ne me lasse pas de ces immenses solitudes délaissées des humains.
Le retour se fait par la Cabane du Breitschloss, étrange petite maisonnée isolée au cœur de la route forestière goudronnée du même nom que nous empruntons sur quelques centaines de mètres. Ensuite nous bifurquons sur notre gauche pour suivre le chemin du Mühlkopf. Ce dernier nous amène à d’autres points de vue sur La Petite Pierre cette fois ci.
Route forestière du Breitschloss
Le retour suit, par des sentiers moussus et d’autres points de vue impressionnants, la route forestière du Breitschloss sur les deux derniers kilomètres. Nous y trouverons même un bois de cerf.
Ce qui est certain est que j’y retournerai dès la levée du confinement, histoire de découvrir ces contrées noyées dans le camaïeu vert du printemps avancé.
14 mai.
3 jours que le déconfinement est en place. Chose promise, chose faite : je suis retournée sur les sentiers boisés de cette contrée et les verts ont enchanté la forêt…
En ces temps étranges de confinement où le présent semble s’éterniser dans une boucle d’intemporalité, j’ai pris quelques heures pour trier mes photos et je me suis dit que j’allais peupler mon blog (délaissé) de mes errances d’hiver. Ces intervalles de bonheur, dans les montagnes proches, sous des cieux chargés de sombres nuages bien loin de l’indécence de ce printemps au soleil ravageur et moqueur nous cloisonnant dans une prison de 1 km de circonférence.
Colette dans les bois.
En février, nous sommes parti-e-s sur les sentiers des collines du Holiesel et du Berg aux landes arides, entités naturelles les plus typiques et rares d’Alsace, préservées d’ailleurs par le Conservatoire des Sites Alsaciens. Y poussent des pelouses sèches parsemées de buissons et de quelques bouquets d’arbres qui abritent orchidées et anémones pulsatilles entre autres trésors.
La randonnée est facile et courte (11 km) à travers des collines boisées ou viticoles qui s’ouvrent sur la plaine alsacienne.
Anémone hépatique
Les chemins étaient détrempés par les pluies régulières de ce mois de février. Dans les sous bois, nous avons même pu contempler le duvet délicat et d’un magnifique bleu soutenu de l’Anémone hépatique. Nous nous étions dits que nous reviendrions au printemps pour apprécier l’explosion de la végétation…peut être en 2021 ?
Le sentier emprunté traverse pour une grande part le vignoble de Dorlisheim. Le retour s’achève sur les hauteurs de Rosenwiller par le Holiesel et par la traversée du village jusqu’au joyau que forme le cimetière israélite.
Le panneau troué par les tirs des chasseurs (site naturel protégé #cohérence)
Hellébore fétide
Il est situé en bordure de forêt, ceint d’un haut mur qui le protège des intrusions. Des gendarmes veillent. Ce cimetière est l’un des mieux conservés d’Alsace où la communauté juive est présente depuis de longs siècles. La date de sa création est inconnue, on sait juste qu’il existait déjà au XIVè siècle.
Un pogrom eut lieu à Strasbourg le 14 février 1349, « le massacre de la St Valentin », où la communauté juive fut faussement accusée de propager la peste noire et des familles entières furent massacrées réduisant la population juive à moins de 100 familles dans toute l’Alsace. Ce n’est qu’à partir du XVIIIè siècle qu’on enregistre une augmentation des inhumations. En 1747, une première extension est réalisée et l’endroit est clôturé.
En 1793, en pleine Terreur révolutionnaire, le cimetière est dévasté. Les registres du lieu seront détruits durant la seconde Guerre mondiale et seule une copie de 1936 permet de retracer son histoire jusqu’en 1753.
Du moyen-âge à nos jours, on estime qu’environ 7000 personnes furent inhumées en ces lieux.
« Il m’a dit que lui aussi adorait s’asseoir dans les cimetières, et qu’il trouve que ce sont les endroits les plus paisibles du monde. »
~Fruit monosperme (c.-à-d. à une seule graine), indéhiscent (c.-à-d. qui demeure clos), sec (p. oppos. au fruit dit « charnu ») et dont le péricarpe (c.-à-d. la paroi) est distinct de la graine~
J’ai découvert le monde de la photo avec un reflex entièrement manuel (merci papa !) et de longues heures enfermées dans mes labos de tirage où je pouvais oublier le temps.
Je reste fidèle à l’émotion que porte le Noir & Blanc.
Eux & la neige.L’eau, la brume, le matin.
Je n’ai pas effeuillé la marguerite. Là-bas, le Ventoux et sa complainte de nuages.
Mon chemin de brumes.Arum blancInstant suspendu où la tige s’est fossilisée dans un carcan de bois fragile au bout duquel tremble la baguette d’une fée.Iris libre au bord de mes étangs proches.
Où ai-je passé la première journée de cette nouvelle décennie ?
Sur les larges sentiers d’un sommet allemand que j’affectionne pour ses vues dégagées qui emportent loin l’imaginaire et abritent mes rêves et mes espoirs : le Melkereikopf.
Ce sommet culmine à plus de 1000 m. d’altitude et offre de beaux panoramas sur la vallée du Rhin et les vallons voisins de la Forêt Noire.
Situé à 1h de route de Strasbourg, c’est un endroit idéal pour se déconnecter du froissement urbain et de la pollution qui stagne souvent dans la plaine d’Alsace.
En ce 1er janvier, une purée de pois, à la grisaille pesante, plombait la ville à peine éveillée des violences de cette nouvelle année. Oui, violence. Un mort humain tué dans son jardin … et je ne parle pas de toutes les vies inquiétées, terrorisées et décédées des autres animaux pour cette tradition déplorable des pétards à lancer lors de ce jour de l’an qui n’est que le choix arbitraire d’une temporalité rythmant le cycle annuel. Une impression de guerre envahit les rues strasbourgeoises à ce moment là et me décourage, à chaque fois, d’avoir foi en mon humanité.
Les trottoirs, au petit matin, étaient jonchés d’immondices.
Nous avons fui cet état sinistré, cette grisaille moribonde, cet univers apocalyptique.
Je sais que là-haut, dans mes montagnes proches, la lumière et la sérénité sont au rendez-vous.
Nous sommes parti-e-s à 6 humains et 4 chiens dans la grisaille de ce lendemain d’excès vers d’autres paysages.
Là-haut, nous avons défait et refait le monde.
Nous nous sommes gorgé-e-s des vues époustouflantes au camaïeu bleu, estampes dessinées par la nature où se perdaient nos espérances. Nous avons rêvé d’un autre monde, plus respectueux. Nous avons aussi contemplé en silence la beauté des vallons se déployant à l’infini. Nous nous sommes repu-e-s de cet air vivifiant où dansaient des éclaboussures de soleil.
« Ma bande » d’activistes prêt-e-s à œuvrer pour un monde plus juste. Tous les individus présent-e-s sur cette photo ne sont pas zoophages, en cohérence avec les actes qu’iels posent.
« Nous rêvons au bonheur universel, nous voulons l’humanité libre et fière, sans entrave, sans castes, sans frontières, sans religions, sans gouvernements, sans institutions. » Louise Michel
Pour ces vacances de la Toussaint, j’ai passé six jours dans un décor grandiose de canyons époustouflants et de tempêtes sur les hauteurs minérales des causses.
Nous sommes parties à 7h de Strasbourg, la pluie était dense
toute la matinée. Le ciel s’est dégagé à partir de midi. Le trajet est facile
car les autoroutes sillonnent tout le parcours et le trafic était fluide.
On est arrivées à 18h, accueillies par nos deux charmants
hôtes, par Finette, la chatte des lieux ultra câline et leurs deux
petits-enfants, curieux et intimidés.
Finette.
J’ai évidemment tout de suite craqué pour Finette, hyper
sociable qui est venue immédiatement réclamer des caresses et me pétrir les
cuisses où elle s’est installée.
La dernière heure de trajet est sur des départementales qui
traversent les Gorges du Tarn. 20 km en 1 h dans un décor fabuleux de falaises
vertigineuses traversées par l’or de forêts somptueuses accrochées aux versants
de ces roches.
Gorges du Tarn.
La vue de ma chambre semble sortie d’un conte du XIXè
siècle. Tout pourrait être idyllique mais nous sommes au cœur d’un pays
d’élevage de brebis laitières à la terre rude et hostile.
Vue de la fenêtre de ma chambre à St-Pierre-des-Tripiers.
Le gîte est une maison typique en lauze qui peut accueillir
5 personnes. Nous avons 2 immenses chambres.
Maison typique des causses.
Maison typique des causses.
Maison typique des causses.
Maison typique des causses.
Maison typique des causses.
Maison typique des causses.
Vue arrière du gîtes.
Chemin du hameau.
Une courte balade en soirée nous a permis d’apprécier le
décor. Nous nous sommes posées sur une colline proche pour regarder tomber la
nuit.
Jour 1 -20 oct- Le Rozier
J’ai dormi 12h ! Incroyable ! Je crois que je décompense et que j’avais grandement besoin de cette pause. Gérer les tensions et toujours être à l’écoute finit par être éprouvant surtout que je suis seule dans cette gestion de 11 antennes à l’échelle nationale. Je suis entourée de remarquables personnes qui me comprennent et dont la compassion est immense et heureusement. Les équipes au sein de l’association sont aussi exceptionnelles et bienveillantes et font un formidable boulot d’investissement. C’est grâce à ces équipes mais aussi aux personnes qui partagent mon quotidien et me soutiennent d’un amour inconditionnel sans oublier ceux et celles qui, de loin, m’envoient leurs pensées positives qui sont autant de petits morceaux d’amour que je tiens, car je dois gérer un nombre incalculable de messages qui exigent explications, critiquent, jugent, condamnent et sont autant intrusifs que maladroits.
D’où l’importance de cette coupure dans un bout de monde.
Ici, aujourd’hui c’est la tempête. La pluie brouille le
paysage et les vents soufflent à plus de 80 km/h. Le rythme va être lent, il
l’est déjà. Pendant que j’écris Phlau et Suzy se partagent le canapé, l’une lit,
l’autre somnole. Chacune son oreiller.
Vers 15h nous avons bougé, histoire de s’aérer un peu. Nous avons suivi la sinueuse départementale 996 jusqu’au Rozier à 30 mn de la maison. La route longe les gorges de la Jonte où se déploie un panorama grandiose, véritable canyon, avec des falaises à corniches noyées dans une luxuriance boisée aux couleurs de l’automne. J’ai vu mes premiers vautours avec leur vol circulaire de rapaces, au-delà des promontoires calcaires surplombant la vallée encaissée. Au Rozier, bourg frontière avec l’Aveyron, une impressionnante tempête à noyer le paysage.
Au retour, l’horizon était embrumé, rendant encore plus
oniriques ces lieux sauvages. L’eau ruisselait
abondamment sur la route jonchée de gros cailloux détachés des
corniches.
Vue de la voiture sur l’église romane du Rozier.
Jour 2 – 21 oct – Au cœur du causse Méjean
Ce matin je me suis réveillée à mon heure habituelle :
7h. Tout était silencieux. J’ai ouvert mes volets et un spectacle de brume et
de lumière s’est offert à mes yeux. Je me suis habillée rapidement pour aller
savourer sur la colline proche ce spectacle féerique. J’aime quand les nuages s’accrochent
au paysage et lui font un habit de brume déchiquetée alors que l’aube vient de
s’estomper.
A mon retour, j’ai croisé le berger amenant ses brebis au pré. Elles étaient toutes tondues, les mamelles pleines. Je n’ai vu aucun agneau. Certaines ont été intriguées par ma présence et mon cœur s’est déchiré comme les lambeaux des nuages de cette matinée. Je ne peux pas faire abstraction de leur sort. Je ne peux pas m’extasier sur cette pratique ancestrale qui n’a plus lieu d’être. D’ailleurs les paysages d’ici sont cloisonnés et ont été façonnés par et pour l’élevage. Je suis au cœur d’un paradoxe éprouvant, tant de beauté côtoyant une inutile cruauté. On peut fuir la réalité, elle nous rattrape toujours. Aucune rudesse, aucune tradition ne justifie une exploitation d’êtres sentients. L’histoire de l’humanité est marquée par une infinité de métiers qui ont disparu face aux évolutions et aux prises de conscience de nos sociétés. Déconstruisons nos archaïsmes pour un monde plus juste.
Aucune rudesse, aucune tradition ne justifie une exploitation d’êtres sentients.
Le petit-déjeuner a été pris rapidement, nous sommes parties explorer le causse Méjean. Il y a une enceinte protohistorique à 1107m d’altitude, ouvrage défensif édifié au VIIIè s. avant JC, à proximité d’un col, d’une draille et d’une source : la Rodo de Drigas. Une position idéale pour ces humains d’autres temps. Le rempart elliptique mesure 150 m sur 115 m, le mur d’origine en pierre sèche était vertical et devait mesurer 4m de haut, doté de 2 portes. Il n’a pas résisté à l’empreinte du temps et à la force des vents. Ce lieu fut habité de 750 avant JC jusqu’au 2e siècle de notre ère. La vue devait être panoramique à 360° mais nous étions dans un nuage avec le sentiment d’être hors de toute chronologie, peut être même proches d’âmes étranges peuplant ces lieux. La nature vibrait, Suzy était la plus attentive de nous trois et grondait au rythme du frémissement des buissons. D’autres êtres nous observaient, bien cachés, elle les sentait.
Nous avons repris notre sentier de randonnée vers le hameau
du Buffre, traversant des forêts de pins noirs d’Autriche habillés de lichens.
Les maisons des villages sont en lauses, de leurs fondations à la cheminée du
toit où trône une pierre en son sommet. Ici, le bâti reste particulièrement
préservé. On dirait des maisons de contes. En fait, l’omniprésence de la roche
calcaire a généré dans la culture caussenarde, tout cet art de la construction
en pierre sèche.
Nous avons suivi à partir de là le chemin de St Guilhem surnommé
aussi le Camin Ferrat qui conduit à l’abbaye de Gellone, à St Guilhem le
Désert, centre majeur de dévotion au moyen-âge. Des chemins empierrés d’origine
antique sillonnent ainsi les collines érodées par les vents et les humains qui
se sont approprié les terres. A la
sortie du hameau se trouve le plus vieux calvaire des causses : la croix
du Buffre où les pèlerins se recueillaient.
Son socle cylindrique s’élève sur trois marches (XIIè s.) et représente
d’ailleurs deux pèlerins vêtus de tuniques, porteurs de bâtons surmontés de
croix. Un senhadou (bénitier) en forme de visage humain contenait l’eau bénite.
Aujourd’hui c’est l’eau de pluie qui le remplit.
Nous avons continué sur le sentier qui traverse la Causse
vers le hameau de Hures. Le ciel s’est dégagé pour nous offrir un
impressionnant panorama sur les sommets alentours : le Serre du Bon Matin,
le travers des Aures et le mont Aigoual. Le paysage est aride, à vif, jonché
d’un chaos de pierres blanches, se perd dans l’infini où les nuages s’emmêlent
au bleu des massifs lointains. Le causse Méjean est une immense table de
calcaire jurassique d’une superficie d’environ 45000 hectares sans eau, sans
arbres, ayant une altitude moyenne de plus de 1000 mètres et des couronnes qui
atteignent jusqu’à 1278 mètres dans sa partie orientale. Nous nous sommes
posées pour contempler cet impressionnant panorama, simple dans sa nudité,
aride et beau. Nous avons aussi vu notre premier troupeau de brebis toujours
sans agneau dans un champ en contrebas et sans patou.
Brebis exploitées pour le roquefort.
Au hameau de Hures, nous avons suivi les indications pour
trouver l’aven du village. En fait, nous ignorions ce qu’était un aven. Je ne
suis pas du tout attirée par la spéléologie et légèrement claustrophobe. Quelle ne fut pas notre surprise de dénicher
un affaissement dans les prés qui donnait sur une faille oblongue d’environ 3-4
mètres béant dans un abîme de la terre.
Dans mes lectures, j’ai découvert que par le passé les bergers y
jetaient leurs brebis mortes (voire les humains gênants) et écoutaient en
frissonnant le dévalement sans fin des cailloux, que de sinistres légendes
accompagnaient ces lieux puisqu’ils renvoient aux entrailles du monde.
Au retour, nous sommes passées à Meyrueis, ville la plus proche des lieux pour faire le plein d’essence. La route sillonne les extraordinaires gorges de la Jonte qui délimitent la partie méridionale du causse. En cette saison, les couleurs de l’automne leur donnent une parure incroyable d’ors et de rouges flamboyants. C’est beau à couper le souffle.
Meyrueis
Les villes traversées semblent désœuvrées, elles doivent
être plus animées l’été. Les rues désertées et étroites de ces bourgs de creux
de vallées donnent un sentiment de mélancolie comme si elles cherchaient un souffle de vie éteint à jamais.
Une certaine tristesse se dégage de leurs façades décrépies.
Jour 3 – 22 oct. Aven Armand
Il pleut, une pluie légère qui froisse le paysage et conte l’automne. La découverte de l’aven d’hier et des histoires qui l’accompagnent m’ont donné envie d’en (sa)voir davantage. Nous sommes à quelques kilomètres de l’Aven Armand, merveille souterraine, indiqué sur tous les panneaux des routes proches. Il fut découvert en 1897 par 3 spéléologues dont Martel et Armand. Armand était serrurier forgeron au Rozier, il devint le fidèle compagnon d’exploration de Martel qui nomma ainsi cet abyme pour lui rendre l’hommage de la découverte car Louis Armand fut le premier à avoir repéré le maître-trou et le premier à y descendre.
L’endroit est immense (un stade olympique tient dans ce lieu,
la cathédrale Notre-Dame peut y entrer) et fantasmagorique. Les gouttes d’eau
filtrées par l’épaisseur calcaire de la voûte et chargées de calcite cisèlent
depuis des millénaires une irréelle et vénérable forêt bien plus âgée que notre
jeune humanité. Draperies magnifiques, méduses de calcaire, dentelle baroque,
feuille d’albâtre transparent agglomérées alternent avec des aiguilles et
d’immenses stalactites en pendentif qui rejoignent presque les colonnes dressées
à terre. La plus élevée atteint 30m et détient le record du monde de hauteur
des stalagmites. Trente autres atteignent 25 m. Certaines mesurent 3m de
diamètre. Le décor est cyclopéen et merveilleux, la visite d’une heure est trop
courte. J’aurais aimé me poser au cœur
de ce monde fabuleux pour m’imprégner de toute la démesure de cette œuvre
naturelle.
L’après-midi fut plus lent, la pluie tombait drue par
moment, l’orage a même tonné. Nous sommes parties faire le tour des gorges de
la Jonte en voiture. La route qui relie St Pierre des Tripiers au Truel est
étroite et sinue à flanc de falaises dans un décor monumental. J’en ai fait une
partie à pied car je ne me lasse pas de ces fabuleux paysages où s’accrochent
le souffle des nuages et où l’automne fait une parure mirifique aux forêts de
ces vallées encaissées. La pluie poétise ce décor et lui donne une dimension
romantique époustouflante.
Jour 4 – 23 oct – Tempête
L’orage gronde depuis l’aube, les éclairs sillonnaient le
mur de ma chambre d’éclaboussures fantomatiques. Le ciel est bas et lourd et a
anéanti le causse dans sa grisaille tourmentée. Les éléments semblent
déchainés. Je me dis qu’avec la force du vent d’ici ce soir plus aucune feuille
dorée ne parera les feuillus de leur manteau d’automne. Toute cette eau
ruisselle dans le calcaire de ces collines, immédiatement bue par la roche poreuse.
Le paysage est plus dénudé que jamais et le blond des prairies desséchées
contraste avec la pesanteur des nuées.
Nous avons tenté une sortie mais la fureur du tonnerre nous
a repliées dans notre chaumière de pierre sèche. Une soupe de légumes mitonne
sur les plaques en vitrocéramique. Lectures, jeux avec Suzy, tri des photos… la
journée sera cosy.
Nos réserves de nourriture.
On a même eu droit à une coupure de courant.
Soupe de pomme de terre, carotte, patate douce, oignon au lait de coco.
Jour 5 – 24 oct – Sur les corniches du causse de Sauveterre
Hier soir, Pierre nous a rejoint au gîte, visite impromptue qui m’a fait plaisir. Ce matin, nous sommes parti-e-s tous les 4 explorer les hauteurs proches côtoyées par les vautours fauves et autres rapaces.
Nous sommes au cœur des failles qui délimitent les vaisseaux
des causses, au bord de ces somptueux précipices faits de promontoires
gigantesques et de rivières bouillonnantes. Tout y est infiniment beau et
infiniment grand.
Notre randonnée nous a conduit-e-s par une sente pierreuse
et escarpée sur la corniche du causse de Sauveterre, au roc des Agudes offrant
une vue à 180° sur les gorges du Tarn et de la Jonte. Paysage époustouflant où
dansaient les vautours.
Sur le retour, nous sommes passé-e-s par le village abandonné
d’Eglazines, accroché aux roches des gorges dans un décor de pierre et de
forêts d’épineux et de chênes. Bâti contre le roc, ses maisons sont
semi-troglodytiques (elles n’ont bien souvent que 3 murs adossés à la falaise).
Bien qu’en ruine on devine les anciennes terrasses tout autour et on imagine la
difficulté de la vie en ce lieu. Jusque dans les années 60 une vieille dame a
habité ce hameau.
Jour 6 – 25 oct – sur la corniche du causse Noir.
La journée fut bleue et or. Bleu comme la lumière qui a
rougi mes joues, or comme le ruissellement de l’automne dans les forêts humides
du causse noir.
La randonnée du jour fut encore fantastique entre vieilles
pierres délaissées (prieuré de St Jean des Balmes, ermitage St Michel, Ferme
résinière abandonnée) et ces panoramas grandioses sur ces gorges dont je ne me
lasse pas avec échappées sur le plateau et les corniches du causse Méjean,
rochers ruiniformes en aplomb au-dessus de la Jonte et réserve naturelle du
cirque de Madasse, écrin boisé de pins, de chênes et de hêtres où chantent les
fées.
La première étape est le prieuré de St Jean des Balmes, ruine de style roman. L’endroit fut peuplé depuis des millénaires car c’est un croisement de voies de communication, notamment la route de Meyrueis à Millau et le chemin de l’Auvergne au Languedoc qui passait par Peyreleau. Des légendes circulent autour de ces ruines. L’église fût bâtie sur un ancien temple gaulois voué au dieu Soleil et il y a sous ses murs deux tunnels antiques, dont les directions indiquent les quatre points cardinaux. Malgré son altitude – 960 m – l’endroit est habitable, comportant plusieurs sources, des terres exploitables et des bois ce qui est une véritable richesse dans ces contrées dénudées. L’église est mentionnée dès le XIè s. C’est au XVIIè s. qu’elle sera désaffectée et se délabra peu à peu dans le contexte des guerres de religion.
Le sentier que nous suivons ensuite nous amène à la réserve biologique intégrale du cirque de Madasse aux portes duquel se tient l’ermitage St Michel, autre ruine occupant quatre pitons dominant les gorges de la Jonte. Il s’agit de l’ancienne forteresse de Montorsier des XIè et XIIè s. L’accès s’effectue par des échelles en métal fixées dans la roche. La vue depuis les terrasses est à couper le souffle.
Toute la suite de la randonnée se fait sur la corniche, le plus souvent en sous-bois, le chemin est étroit, les feuilles mortes le rendent glissant et il est entrecoupé de racines. Il s’ouvre régulièrement sur des vues époustouflantes : l’ermitage, les Vases de Chine et de Sèvres deux imposants monolithes surplombant le paysage, le rocher de Capluc et le village de Peyreleau avec le confluent de la Jonte et du Tarn.
La remontée sur la ligne de crête aboutit au Champignon préhistorique, rocher ruiniforme imposant. Les sentiers se font chemins forestiers et traversent les très belles forêts moussues des hauteurs. Nos pas nous mènent vers le dernier rocher-point de vue, le Point Sublime, le bien nommé où j’ai encore pu observer le vol des vautours fauves dans le bleu frontal de cette journée lumineuse.
CAUSSE
Le plateau sans limite étale son désert, Sa grisaille de plomb sans voix, sans feu, sans onde: Il semble que l’on ait atteint au bout du monde La région maudite aux portes des enfers.
L’implacable soleil brûle et luit sans ombrage, Où pourrait-on trouver la source qui sourit, La branche qui chuchote et balance son nid, La rose dont la grâce émeut le paysage…
Rares troupeaux broutant les cailloux gris du sol, Buis et genévriers, chardons plats, herbe rase, Chaque être et chaque fleur sous le vent qui l’écrase Courbe son morne front et rampe sans envol.
Je l’aime cependant ton visage farouche Sous ton ciel inclément, Causse déshérité, Pour le silence amer et l’air de liberté Que l’on peut respirer là-haut à pleine bouche.
La sentience (du latin sentio, sentis « percevoir par les sens ») désigne la capacité d’éprouver des choses subjectivement, d’avoir des expériences vécues ce qui implique respect et sollicitude.
Dans mon circuit d’eau de cet été, je continue mes
explorations des lacs glaciaires du Nord de la Forêt Noire.
Cette fois ci c’est au Schurmsee que je vous emmène. En raison de son emplacement isolé il est l’un des lacs les moins visités de ces vallons boisés. Je l’avais repéré sur mes cartes topographiques, petite tache bleue isolées au cœur du vert des forêts.
J’ai testé un circuit qui nous a amené à faire plus de 1000
m de dénivelé et 18 km. Nous avons traversé des chemins oubliés, envahis de
fougères, de mousses humides et de rochers au chaos apocalyptique. Sente escarpée
à flanc de falaise, obturée par des troncs gigantesques de sapins tombés là,
vestiges de l’hiver qui fut rigoureux et dévastateurs pour les résineux.
Vaste fourmilière sur le sentier.
Je vous ai redessiné un tracé plus faisable, moins dangereux et légèrement plus court (15 km).
La randonnée part du village d’Hundsbach, il faut prendre un chemin qui descend entre les maisons et qui est indiqué comme étant « privé » car il est interdit à la circulation des voitures. Ce chemin conduit par une forte pente à un pont au-dessus de la rivière qui coule au pied du village. A partir de là on emprunte de larges sentiers qui se font sentes au fur et à mesure de la montée, bordés d’une magnifique forêt de résineux, fougères, mousses et bruyères en fleurs parfumant notre chemin qui nous conduit au Schurmseehöhe sur 4 km.
C’est le point de vue sur le lac à 960 m d’altitude, un banc invite à une première pose contemplative.
La beauté farouche de ces cirques m’émeut toujours. Le temps semble se suspendre là, dans une éternité improbable où s’efface tout ce qui me pèse. Marcher m’allège. C’est comme si je me délestais de tout ce qui entrave mes pensées. La nature à cet effet puissant sur moi d’apaiser toutes mes colères et de me rendre juste contemplative et émerveillée par ce qui palpite autour de moi et en moi.
La descente vers le lac fut épique et dangereuse car le
chemin n’a pas été déblayé depuis cet hiver, est entravé et délaissé (j’ai donc
modifié le tracé).
Il est possible de faire le tour du lac, situé à 794 mètres d’altitude, ses abords proches sont inaccessibles afin de préserver le biotope, protégé par une barrière de bois. Ce lac s’est formé à la fin de la dernière période glaciaire, il y a environ 100 000 ans. C’est un des plus profonds lacs glaciaires de la Forêt Noire (13 m de profondeur). Un tiers du lac est déjà ensablé. A long terme, il sera complètement envasé. Sa couleur sombre et dorée, comme toutes les eaux de la Forêt Noire que je traverse, est due aux substances humiques. Cette couleur fuligineuse me fascine, baignée par le soleil, elle prend des reflets or miroitant dans les éclaboussures de lumière qui la rendent précieuse et incomparable.
Je pourrais rester des heures dans ces creux de nature. Juste
posée là à écouter ces vibrations infimes qui résonnent dans chaque cellule de
mon corps.
La forêt autour du lac est luxuriante et nuancée d’un
camaïeu vert, témoin de la richesse de son écosystème.
Le retour se fait par de larges sentiers qui offrent de
belles vues sur les collines avoisinantes.
Nous avons fait une dernière pause sur le chemin du retour, au pied du village, là où chante la rivière sur les rochers moussus, des bancs nous ont invité-e-s au repos.
La si jolie maison qui affiche fièrement ses trophées de mort. Cela ne vous choque pas ? Toute la dissonance qui nous habite est ainsi résumée.
Le banc noyé dans la végétation.
Plantago
Le plantain réinvestit les chemins. Résistance / Résilience.
« Nul ne peut, sans se dépasser, apprendre de lui-même qui il est. Ce qu’on croit en penser n’a aucune importance : il faut y aller voir, y aller, se risquer, jusqu’à ce que le mystère passe de notre côté. » Armel Guerne (1911-1980)