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Le Jura et ses ruisseaux contés – été 2018

Le Jura et ses ruisseaux contés – été 2018

•Journal de voyage•

Jour 1 – 19 juillet • Découverte de l’ « autre » Alésia

Mouchard, la commune où nous logeons est dans le Jura. C’est un petit bourg charmant mais trop bétonné à mon goût. Nous sommes hébergées dans une immense maison franc-comtoise que Monsieur Louis, le charmant monsieur retraité des lieux, a séparée en trois appartements indépendants. Un immense jardin clos est à notre disposition avec des arbres fruitiers qui font le bonheur des chiennes.  L’église et son clocher typique de la région est à côté et rythme nos journées de façon décalée (les cloches sonnent de manière impromptue et à des moments improbables). La chaleur est écrasante.

Comme Suzy nous réveille aux aurores (6h ce matin), nous sommes parties découvrir les sentiers de la région tôt et c’est beaucoup plus agréable.  Avant de partir, je promène Colette car sa morphologie ne lui permet pas de nous accompagner. Elle a droit à ses balades matinales et aussi en soirée, là où les heures sont plus fraîches et respirables.

A ½  h d’ici, il y a le hameau d’Alaise qui revendique le nom d’Alésia, l’oppidum où Vercingétorix a mené sa dernière bataille. C’est Alphonse Delacroix, siégeant à la Société d’Emulation du Doubs, en 1855 qui aurait spécifié cette extravagance historique. Le patrimoine archéologique est composé de tumuli des âges du fer et de vestiges gallo-romains.  Une boucle bien nommée « La Gauloise » permet de faire le tour de ces vestiges. Elle traverse un joli bois moussu et empierré et conduit à un belvédère à la vue époustouflante sur les plateaux verdoyants du Jura et les gorges du Lison. Les vestiges sont constitués d’abris sous roche et de restes de murailles blanches.

La roche calcaire affleure partout, et des amoncellements de pierre dessinent le paysage. La sente descend le long des falaises crayeuses. Tous les troncs des arbres sont recouverts de cette mousse épaisse qui donne des airs de conte aux chemins parcourus. Les papillons accompagnent nos pas. C’est féerique. Nous sommes seules dans ce décor intemporel.  Au bout de presque 1h de cette descente magique, nous arrivons au Lison.  Pause bienvenue pour Emma et Suzy qui s’éclatent dans l’eau fraîche de la rivière.

Le retour se fait par le GR 590 sur large un chemin forestier  mais qui semble totalement abandonné des vicissitudes de l’humanité… épilobes et balsamines ont envahi ses pierres et nous font une haie délicate entre les sapins immenses où respire la forêt.  C’est beau et puissant et je me sens infiniment petite et en même temps infiniment complète dans cette respiration.

Le retour au hameau est plus rude car midi est avancé et la chaleur est de plus en plus étouffante quand on quitte les bois.

L’après-midi sera plus lente : lecture, sieste et rêveries au gîte sauf pour Emma qui veille !

Jour 2 – 20 juillet  •  Le grand méandre de la Loue

« Vers le sud, point n’était besoin de mur de bois ni de pierre : la tour seigneuriale déploie ses ailes dépareillées au sommet d’une falaise abrupte au pied de laquelle coule la Loue. La tranquille rivière continue de lécher l’escarpement rocheux, s’appliquant à dessiner depuis toujours les mêmes boucles vertes sur la terre ».

                                                    Carole Martinez – Du domaine des murmures.

Un vent tiède apaise la torpeur du jour. Des orages sont annoncés pour la fin de journée.

Ce matin, c’est la Loue que nous sommes parties découvrir, plus vers le Nord. Une mini randonnée de 8 km sur les bords de cette large rivière caressée par des plantes aquatiques fleuries qui lui font une poétique et printanière coiffure blanche.

Emma est particulièrement pénible aujourd’hui. Sa truffe a dicté ses émotions et elle n’écoute RIEN ! Elle a d’abord commencé par chasser un troupeau de vaches apeurées (les pauvres) dans un immense champ clôturé.  Peu d’espaces sont ouverts et c’est regrettable. Les paysages sont façonnés par l’élevage qui cloisonne la nature.  Je dois particulièrement veiller justement à Emma qui ne comprend pas le principe d’une clôture.

Quand elle est lancée, conditionnée par son odorat, plus rien n’a d’importance. Dans ce pays de falaises et de fils barbelés, j’essaye d’être particulièrement vigilante.

Les filles se sont baignées dans la Loue.

La 2e partie du parcours s’est faite sur les hauteurs de Chenecey-Buillon, dans un joli sous bois peuplés de hêtres moussus et de murgers, ces murs de pierres sèches construits par les paysans d’antan, quand, labourant leurs champs jonchés de ces grosses pierres blanches, ils les déposaient à la limite de leur propriété. Tous les bois alentours en possèdent et ils jalonnent les chemins de randonnée. Un belvédère offre une vue panoramique sur ce méandre de la Loue à un peu plus de 400 m d’altitude.  On y voit aussi la tour en ruine d’un château féodal du IXè s. dévoré par la verdure, le château de Charencey.

Le chemin du retour s’effectue par un large sentier en sous-bois découpé par des trouées champêtres de part et d’autre. Emma sent toutes les bêtes libres qui peuplent ces lieux, elle est constamment à l’affût, vieil instinct de survie qui conditionne ses états d’âme quand nous sommes dans ces paysages boisés.  J’ai du la tenir en laisse une bonne partie du parcours.

Jour 3 – 21 juillet • Découverte de la reculée des Planches

La matinée a débuté doucement.  Hier soir il a plu et le ciel du matin était gris avec le fond de l’air humide. Du coup j’en ai profité pour balader Colette plus longuement avec Suzy. Nous sommes montées sur la colline avoisinante où sont cultivées les vignes de l’Arbois. Un immense Christ est posé à flanc de pente, une plaque précise qu’il est installé là, à surveiller la vallée, tel un mage aux supers pouvoirs, en commémoration de la seconde Guerre Mondiale. Au-delà des vignes, un bois couvre le sommet des lieux. Ici les bois ont tous des airs mélancoliques et ténébreux peuplés d’êtres invisibles.  Colette et Suzy ont apprécié.

Phlau n’était pas motivée pour bouger. Vers 15h, je l’ai convaincue de partir découvrir un lieu qui me faisait de l’œil sur ma carte de randonnée du pays d’Arbois (3325 OT) : une « fameuse » reculée du Jura. Les géographes ont officialisé ce terme : c’est « une longue vallée qui pénètre à l’intérieur d’un plateau calcaire à couches horizontales, et qui se termine brutalement en bout de monde, au fond d’un cirque calcaire, au pied duquel jaillit une résurgence ». Le Jura possède plusieurs reculées, celle de La Planche est typique.

La Cuisance coule dans cette curiosité géographique. Ce bout du monde est un paradis. La végétation y est dense, quasi tropicale, les arbres s’accrochent aux lapiaz et montent à l’assaut des falaises calcaires. Des trous sombres ouvrent la roche et des profils inquiétants découpent ses promontoires et habitent la forêt d’émotions étranges.  Le cirque du Fer à Cheval clos cet univers.  Cette forêt est composée de chênes sessiles, de taillis de charmes abondants et de quelques hêtres. Le tapis herbeux est riche et diversifié.  Les bryophytes foisonnent où chantent la rivière et créent cet univers féérique particulier des forêts jurassiennes.  Les tufs ou travertins délimitent les paliers de la Cuisance qui a des eaux bleues turquoise par endroit et qui enchantent le paysage. C’est paradisiaque !

La première source, la Petite Source de la Cuisance, est située au fond du Cirque du Fer à Cheval et donne naissance à la Petite Cuisance qui descend la reculée sur 1,7 km avant de confluer avec la Grande Cuisance dans le village de Les Planches-près-Arbois.

Dans le village des Planches, il y a un bar qui fait restauration bio et qui propose des menus végétaliens. Nous y avons dégusté de divins sorbets.

Au retour, nous sommes montées sur les hauteurs pour admirer cette reculée à partir de belvédères. Nous avons fini avec le château en ruines (dont il ne reste qu’un mur ouvert sur quelques pierres vestiges et une pièce au milieu de la végétation) de La Châtelaine où a vécu Mahaut d’Artois au XIII- XIVè s. (connue du grand public pour son rôle dans la suite romanesque Les Rois maudits de Maurice Druon). La lumière du soir faisait des ombres longues sur les fougères et les pierres amoncelées.

Jour 4 – 22 juillet • Port-Lesney et l’ermitage de Notre Dame de Lorette

Ce dimanche fut un dimanche à la campagne…tout en lenteur et quiétude, accentué encore par la torpeur estivale. J’aime l’ambiance de ces villages francs-comtois, échappée d’une bulle temporelle des années 50. Aujourd’hui, nous avons investi le jardin immense du 2 rue de la Fontaine. Petit-déjeuner tardif sous le poirier puis nous avons étalé un drap sous ce même poirier et avons paressé avec des lectures variées.

Après 16h, je suis partie seule avec Suzy, explorer les hauteurs du village voisin, Port-Lesney où coule la Loue.

Une jolie balade de deux heures dans un massif boisé aux beaux sentiers traversant les forêts profondes de ce pays. Cette promenade nous a conduites vers l’Ermitage de Notre-Dame-De-Lorette perché à l’à-pic de la vallée. Suzy est parfaite, elle me suit avec application, parfois me devance un peu mais garde toujours un œil vigilant sur mes mouvements. Et quand nous faisons des pauses elle surveille continuellement les alentours. Je craignais que la chaleur ne l’épuise trop vite et j’ai veillé  ce que nous restions toujours dans les sous-bois. Nous sommes revenues par un sentier plus étroit faisant une trouée magique dans ces frondaisons denses où coulait un ru qui a fait la joie de Suzy et apparemment celles des moustiques ambiants.

Un poème était accroché à un tronc d’arbre.

A notre retour au village, Suzy s’est jointe aux touristes locaux pour se baigner dans la Loue au pied du pont en fer qui la traverse. L’ambiance respire la simplicité, des familles profitent des joies de la rivière. Cette atmosphère  a presque le goût de mon enfance et c’est sans doute pour cette raison que je me sens si bien dans ces lieux quasiment décalés.

Jour 5 – 23 juillet • Le belvédère du Vieux-Château, le Pont du Diable et les Sources du Lison.

Aujourd’hui nous sommes reparties tôt explorer les campagnes alentours afin de profiter un peu de la fraicheur qui se fait de plus en plus rare. De Crouzet-Migette, un joli bourg étalé aux vieilles maisons empierrées, nous sommes descendues par un sentier qui traversait encore de magnifiques sous-bois. Ici, sous les sapins, la forêt respire et déploie tout une variété d’arbustes qui lui font de somptueux dégradés de verts sous la majesté des conifères. Comme pour toutes nos randonnées, nous n’avons croisé personne sur les chemins empruntés.

La montée vers le belvédère du Vieux-Château est assez rude car pentue et semée de rochers détachés des falaises qui surplombent le paysage. J’ai déjà constaté qu’Emma a un puissant flair (de chasseuse) et que quand elle a flairé un autre animal, plus rien n’existe sauf cet autre être. Elle finit toujours par revenir car c’est également une craintive viscérale (ce qui me rassure) mais avec ces contrées où les falaises tombent à pic, son impulsivité me fait craindre le pire donc je la garde en laisse à mes côtés.

Après la pause méritée sur les hauteurs, nous sommes redescendues vers les campagnes aux champs clos typiques de cette région. Il y a des barbelés partout. Quand on y pense et qu’on change son regard sur les choses c’est infiniment triste de se dire que ces magnifiques espaces sont cloisonnés pour une mise en esclavage et pour l’exploitation d’êtres sensibles. Finalement, moi randonneuse, je ne suis pas libre de savourer pleinement ces belles étendues car je suis aussi contrainte par ces cloisonnements. J’ai appris plus petite que ma liberté finissait là où commence celle d’autrui. Autrui est qui dans ce contexte ? L’exploitant-e agricole… et on revient toujours à notre société patriarcale inscrite jusque dans nos paysages ruraux.

Après la traversée du village de Ste Anne, nous avons emprunté un bout de départementale pour arriver au Pont du Diable. Impressionnant pont qui surplombe un précipice étroit où coule le ruisseau de Château-Renaud. Quelques marches nous conduisent sous le pont, un peu plus encore au bord du précipice, où trône l’impressionnant visage du diable sculpté dans la clef de voûte du pont. Son nom provient d’une légende selon laquelle l’entrepreneur chargé de sa construction, un nommé Babet de Salins-les-Bains, désespéré de ne pouvoir tenir le délai annoncé après plusieurs effondrements en cours de construction, accepte un pacte avec le Diable pour terminer le chantier à temps.

Le pont du diable

Suzy a fait une collecte remarquable de tiques ! Les deux louloutes sont épuisées et la chaleur commence à être pénible. Elles ont pu se rafraichir dans une baignoire naturelle au creux du lit quasi sec du ruisseau.

Le retour se fait en longeant la lisière de champs encore clos.

Nous finissons notre périple du jour par la découverte de la source du Lison, fantastique jaillissement en une cascade tumultueuse à même la falaise où quelques vacancièr-e-s se baignent, savourant la fraîcheur bienfaitrice de l’eau vive.

 

Nous rentrons par les jolis méandres des routes de montagne où chaque tournant invite à d’autres escapades de l’imaginaire.

Ce soir, Cyrille, le cousin de Phlau vient dîner au gîte.

Jour 6 –24 juillet  • Retour à la reculée des Planches

Je suis définitivement conquise par la Cuisance et sa résurgence dans la reculée des Planches, ses cascades à tufs (travertins) et la froideur bénéfique de ses eaux par ces températures caniculaires.  Nous y sommes retournées ce matin, avec les trois chiennes, idéal pour Colette qui peut ainsi savourer les joies d’une balade sans souffrir. Nous y avons croisé quelques rares touristes. Nous avons profité de l’espace ouvert du champ du Toux pour nous poser, apprécier encore les hautes falaises blanches et boisées de cette splendide reculée. Les chiennes s’en sont données à cœur joie (j’aime cette expression) dans les prés, dans l’eau vive…

Nous avons déjeuné au Bistrot des Planches où nous avions réservé deux menus végétaliens, savoureux. Nous sommes retournées tremper nos pieds, nos jambes dans la Cuisance. Je ne me lasse pas de ses eaux translucides, turquoises par endroit, de son décor paradisiaque gorgé de verts où les racines des arbres font des entrelacs fantasmagoriques, où l’eau chante inlassablement semblant se moquer des températures infernales des campagnes voisines.

Nous y passerons encore la journée de demain, c’est tellement revivifiant !

Au retour nous avons fait une pause à Arbois, minuscule et charmante ville au creux des vignes. Là aussi le temps semble s’être figé. Il y a encore des panneaux signalétiques qui annoncent la direction des… P.T.T. !  Certaines rues sont joyeusement ornées par des bulles gigantesques aériennes aux décorations scintillantes qui rappellent les fêtes de Noël, pleines de poésie, la place centrale est également égayée de guirlandes qui l’habillent à partir de sa fontaine qui trône en son milieu.

Oui, je suis ailleurs, dans un ailleurs « vieille France » où le temps prend un autre rythme et où les personnes croisées ont toutes  le sourire aux lèvres.  Ici les gens sont tous aimables et accueillants.

Jour 7- 25 juillet • La Roche du Feu (Mesnay)

La chaleur est de plus en plus écrasante. Nous décidons que cette dernière matinée sera consacrée à Colette qui peut s’éclater avec bonheur dans la fraicheur de la Cuisance. Nous repartons vers Arbois, définitivement conquises par cet endroit. Le matin, la reculée est déserte et c’est une véritable grâce de pouvoir en jouir ainsi. Nous quittons les lieux aux environs de 11h pour retrouver notre gîte dont les murs épais garantissent le frais des pièces. Ce n’est que vers 17h que Phlau et moi repartons (sans les chiennes) pour une dernière découverte des forêts et hauteurs des parages. J’ai décidé d’explorer un autre emplacement de cette reculée : la Roche du Feu, falaise située à l’Est de cette vallée. Une dernière et courte randonnée (7 km) pour saluer une ultime fois ces lieux. La lumière du soir irise les paysages et traverse les feuillages de ses rayons obliques, lénifiant les sous-bois. Chaque forme caressée par cette lumière miellée prend une texture ciselée qui la magnifie. Les forêts ont vraiment une densité particulière. La vie irradie partout et sous une infinité de formes.

Nous rentrons, repues.  Les bois sont une nourriture certaine et inépuisable pour recharger mes batteries.

Le retour se fera demain par 30°C. Heureusement qu’il n’y a que 300 km à parcourir et que la voiture est climatisée ce qui permet à Colette de dormir tranquille à la place du passager…